Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/217

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toute sa personne un certain air de complaisance, qui rarement s’unit à une grande sensibilité.

Quand elle en vint à l’endroit de la lettre où l’on parlait de sa famille d’une manière si peu favorable, sa mortification fut grande ; elle était trop pénétrée cependant de la justice de ces accusations pour chercher à les réfuter, et les circonstances auxquelles il faisait plus particulièrement allusion, comme s’étant passées au bal de Netherfield, ne pouvaient avoir fait plus d’impression sur lui que sur Élisabeth.

Le compliment adressé à elle-même et à sa sœur fut apprécié, mais s’il adoucit sa douleur, il ne la put consoler du mépris que le reste de sa famille s’était ainsi attiré. Et lorsqu’elle songeait que tous les chagrins de sa sœur chérie avaient été l’ouvrage de ses plus proches parents, son angoisse était extrême.

Après s’être promenée pendant plus de deux heures tout occupée de ses pensées, considérant encore et encore chaque événement, déterminant leur plus ou moins de probabilité, et s’accoutumant, autant que possible, à un changement si soudain et si important ; la fatigue et le souvenir de sa longue absence, l’engagèrent enfin à retourner au presbytère. Elle y entra avec le désir de paraître aussi gaie que de coutume, et la résolution d’éloigner toutes réflexions qui pourraient nuire à son enjouement.

Aussitôt qu’on l’aperçut, on lui dit que les deux hôtes de Rosings étaient venus pendant son absence ; M. Darcy n’était resté que peu d’instants, mais le colonel Fitz-William avait attendu plus d’une heure, espérant qu’elle reviendrait, et se serait même décidé à l’aller chercher, si on lui avait pu dire quel chemin elle avait pris. Élisabeth ne put que feindre quelque regret de ne l’avoir point rencontré ; elle n’en éprouvait aucun ; au contraire, elle s’en réjouissait. Le colonel n’occupait plus sa pensée, elle ne pouvait rêver qu’à sa lettre.