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Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/216

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injuste et sans principes, ou qui le dît impie ou libertin. Les gens qu’il fréquentait le plus lui accordaient et respect et estime : Wickham même avait avoué qu’il était bon frère, et souvent elle l’avait entendu parler de sa sœur d’une manière qui prouvait qu’il était susceptible d’un attachement sincère. Si sa conduite eût été telle que Wickham la représentait, elle n’aurait pu être ignorée, et toute intimité entre une personne capable d’une telle infamie et un homme aussi bon que Bingley était impossible.

Ces réflexions la firent plus d’une fois rougir ; elle ne pouvait penser ni à Darcy ni à Wickham sans sentir qu’elle avait été aveuglée par la prévention la plus ridicule et la plus absurde.

« Se peut-il, s’écriait-elle, que j’aie agi d’une manière si méprisable, moi qui me pique de posséder un discernement si subtil ; moi qui me glorifies tant de mon esprit, qui si souvent dédaignant la généreuse candeur de ma sœur, me plais à une défiance inutile et coupable ; combien cette découverte est humiliante, mais cette humiliation est bien méritée !… Si j’avais aimé, je n’aurais pas été plus aveugle, mais la vanité, non l’amour, a causé ma folie ; flattée par les préférences de l’un, offensée de la négligence de l’autre, je me suis livrée aux préventions les plus injustes ; j’ai honte de moi-même ; jusqu’à ce moment mon propre caractère ne m’était point connu. »

Ses pensées se portant d’elle-même à Hélen, d’Hélen à Bingley, la ramenèrent bientôt au souvenir que l’explication de M. Darcy, sur ce qui les concernait, lui avait paru bien peu satisfaisante, et elle la lut encore une fois ; bien différente fut l’impression que produisit cette seconde lecture. Comment douter maintenant de ses assertions, puisque déjà elle s’était vue forcée d’y ajouter foi ? Il assurait n’avoir jamais soupçonné les sentiments d’Hélen, et elle ne put oublier ce que Charlotte avait toujours pensé à ce sujet ; il lui était également impossible de nier la justesse des remarques faites par lui sur Hélen. Elle savait trop bien que sa sœur, bien que susceptible des affections les plus vives, renfermait tout en elle-même, et que d’ailleurs il y avait dans