Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/220

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ma pensée, et je ne puis souffrir l’idée que deux jeunes personnes voyagent seules en poste, cela serait tout à fait inconvenant. Il faut les faire accompagner : de jeunes personnes doivent toujours voyager avec une suite convenant à leur rang dans le monde. Lorsque ma nièce Georgiana alla à Ramsgate, j’insistai pour qu’elle eût deux laquais : Mlle Darcy, fille de M. Darcy de Pemberley et de lady Anne, n’aurait pu sans cela paraître convenablement. Je fais grande attention à toutes ces choses-là. Il vous faut absolument envoyer John avec ces demoiselles. Madame Colins, je suis aise d’avoir songé à vous le dire. Il eût été honteux pour vous de les laisser partir seules.

— Mon oncle nous envoie un domestique, dit Élisabeth.

— Ah ! ah ! votre oncle a donc un domestique ? Je me réjouis que vous ayez quelqu’un qui pense à ces choses-là. Où changerez vous de chevaux ? Oh ! à Bromley, sans doute. Si vous parlez de moi au maître de poste, vous serez bien servie. »

Lady Catherine avait bien d’autres questions à poser concernant leur voyage ; comme elle ne répondait pas à toutes elle-même, il fallut donner quelque attention à ses discours, et Élisabeth pensa que c’était chose fort heureuse pour elle, car, avec un esprit aussi préoccupé, elle aurait bien pu oublier où elle était. Ce n’est que dans la solitude qu’on peut se livrer sans réserve à la réflexion : aussi, dès qu’Élisabeth se trouvait seule, elle s’y abandonnait entièrement comme le seul moyen qui lui offrît quelque soulagement. Tous les jours elle se rendait dans son allée favorite et là, seule avec ses pensées, elle se livrait à toute l’amertume de ses souvenirs.

Elle était en bon train de savoir par cœur la lettre de M. Darcy, elle en étudiait chaque phrase, et ses sentiments envers l’auteur étaient parfois bien différents. Lorsqu’elle se rappelait la manière dont il lui avait exprimé ses vœux, son indignation était extrême ; mais lorsqu’elle songeait aussi combien les reproches qu’elle lui avait adressés étaient injustes et mal fondés, sa colère se tournait