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Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/234

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— Je n’ai jamais pensé que M. Darcy parût aussi peu aimable que vous l’imaginiez.

— Et cependant je croyais être fort habile en le haïssant sans motif. Avoir ainsi une antipathie pour quelqu’un, est une si grande ressource pour l’esprit, car l’on ne saurait se moquer continuellement, sans parfois dire quelque chose de spirituel.

— Lizzy, quand vous lûtes cette lettre, pour la première fois, vous ne pouviez, je suis sûre, traiter ce sujet si légèrement.

— Non, il est vrai ; j’ai été chagrine, oui, bien chagrine je puis dire même malheureuse. Je n’avais personne à qui je pusse confier mes peines ; mon Hélen n’était pas là pour me consoler, pour me dire que je n’avais point agi d’une manière aussi absurde, aussi ridicule que je le craignais ; oh combien je vous ai désirée !

— Il est malheureux qu’en parlant de Wickham à M. Darcy, vous vous soyez servie d’expressions aussi fortes ; elles paraissent maintenant si mal fondées.

— Certainement, mais ce langage si outré est une conséquence naturelle des injustes préventions que je m’étais fait un plaisir à encourager ; il y a un point sur lequel vos conseils me sont nécessaires : il faut me dire si je dois, ou ne dois pas faire connaître le vrai caractère de M. Wickham. »

Mlle Bennet réfléchit quelques instants, puis elle répondit : « Il n’y a, ce me semble, nulle raison de rendre ses torts publics ; et quelle est votre opinion ?

— Qu’on ne le doit pas faire. M. Darcy ne m’a pas autorisée à parler de ce qu’il m’a confié ; au contraire, il désire que l’événement qui regarde sa sœur soit tenu sous le plus grand secret, et si je voulais désabuser le monde sur le reste de sa conduite, qui est-ce qui me croirait ? La prévention contre M. Darcy est si générale et si forte, qu’essayer même de le représenter comme un homme aimable, serait le moyen de se faire lapider par la moitié des bons habitants de Meryton. Non, non, je dois y renoncer : Wickham sera bientôt parti, et alors il importera peu qu’on sache