Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Quel motif peut avoir M. Darcy, dit-elle à Charlotte, de m’écouter ainsi lorsque je m’entretiens avec le colonel Forster ?

— Voilà une question à laquelle M. Darcy peut seul répondre.

— Mais, s’il m’écoute encore, je lui ferai certainement connaître que je m’en aperçois : il a un regard très moqueur, et si je ne commence moi-même à être impertinente, il finira par m’intimider. »

Un instant après il s’approcha d’elles, mais sans paraître désirer leur parler. Mlle Lucas défiant alors son amie d’aborder ce sujet, Élisabeth se tourne vers lui et lui dit :

« Ne trouvez-vous pas, monsieur, que je me suis fort bien exprimée lorsque je demandais au colonel Forster de nous donner un bal à Meryton ?

— Avec beaucoup d’énergie, mademoiselle, mais c’est un sujet qui rend toujours une dame éloquente.

— Vous êtes un peu sévère envers notre sexe.

— Ce sera bientôt votre tour d’être tourmentée, dit miss Lucas ; je vais ouvrir le piano, Éliza, et vous savez ce que cela veut dire.

— Pour une amie, vous êtes une étrange créature ; vous voulez toujours me faire chanter et jouer devant tout le monde. Si j’eusse désiré briller par la musique, vous seriez impayable ; mais comme il n’en est rien, je ne souhaite nullement jouer du piano devant des personnes accoutumées à entendre les meilleurs artistes. » Mlle Lucas l’ayant priée avec instance, elle ajouta : « Eh bien, puisque vous le voulez, il faut prendre son parti », et, jetant un coup d’œil sérieux sur M. Darcy, elle dit : « Je m’attends à la critique, mais elle ne saurait me faire impression. »

Elle jouait agréablement, mais, après une ou deux ariettes, et avant qu’elle eût le temps de répondre aux instances qu’on lui fit de continuer, elle fut remplacée au piano par sa sœur Mary, qui, étant la seule de la famille qu’on ne pût louer sur sa beauté, avait beaucoup travaillé pour acquérir du talent et était impatiente de le montrer.