Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/29

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Mary n’avait ni goût ni génie, et encore que la vanité lui eût donné de l’application, elle lui avait aussi donné un certain air de pédanterie et de suffisance qui aurait gâté un plus haut degré de perfection que celui qu’elle avait atteint.

Élisabeth, simple, sans affectation, avait été écoutée avec plaisir, quoiqu’elle ne touchât pas, à beaucoup près, aussi bien que Mary : celle-ci, à la fin d’un très long concerto, se trouva heureuse d’acheter quelques faibles louanges en jouant des airs écossais, à la demande de ses sœurs cadettes, qui, avec les jeunes Lucas et quelques officiers, se mirent à danser dans un des coins du salon.

M. Darcy les regardait en silence, indigné d’une telle manière de passer la soirée, qui le privait de toute conversation, et trop absorbé dans ses pensées pour s’apercevoir que sir William était près de lui ; mais sir William lui adressa enfin la parole :

« Voilà une charmante récréation pour les jeunes gens, monsieur Darcy ; il n’y a rien, après tout, de comparable à la danse ; je la regarde comme un des plus grands raffinements de la civilisation.

— Je le crois, monsieur, et, de plus, elle a l’avantage d’être en vogue parmi les peuples les moins civilisés : les sauvages savent danser. »

Sir William sourit. « Votre ami joue son rôle parfaitement bien, continua-t-il, après un moment de silence, en voyant M. Bingley joindre le groupe, et je ne doute nullement que vous ne soyez bien capable de suivre son exemple, monsieur Darcy ?

— Il me semble, monsieur, que vous m’avez vu danser à Meryton ?

— Oui, monsieur, et cela me fit grand plaisir. Dansez-vous souvent à Saint-James ?

— Jamais.

— Vous avez, sans doute, une maison en ville ? »

M. Darcy répondit par un salut affirmatif.

« J’avais eu quelque envie de me fixer à Londres, car j’aime la haute société, mais j’ai craint que l’air de la ville ne convînt pas à lady Lucas. »