Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/283

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— Mon père est allé à Londres, et Hélen a écrit pour prier mon oncle de venir l’aider de ses conseils et j’espère que dans une heure nous serons en route. Mais toute démarche est inutile, je ne le sais que trop bien : comment rendre un tel homme raisonnable ? Comment même pourra-t-on les découvrir ? Je n’ai aucun espoir : de toute manière, c’est un événement bien cruel. »

Darcy l’écoutait en silence.

« Lorsque mes yeux ont été ouverts sur son caractère, si j’avais su ce que je devais, ce que je pouvais faire… Mais j’ignorais s’il m’était permis… J’ai craint d’en trop dire… Trop malheureuse discrétion ! »

Darcy ne fit pas de réponse ; il paraissait même ne l’entendre plus, et se promenait dans la chambre absorbé dans ses réflexions. Son regard était fixe, son air sombre. Élisabeth s’en aperçut bientôt, et en comprit à l’instant la cause : son pouvoir sur lui s’évanouissait. Une semblable preuve de faiblesse, chez une si proche parente, le déshonneur qui en résultait pour toute la famille, détruisaient en lui tout sentiment d’intérêt, de bienveillance. Elle ne put ni s’en étonner, ni le blâmer. Mais la victoire qu’il remportait sur lui-même n’était pas ce qui pouvait le mieux adoucir le chagrin d’Élisabeth ; au contraire, cette persuasion lui fit, pour la première fois, comprendre l’étendue de ses propres désirs, et jamais elle n’avait si bien senti qu’elle n’aurait pu l’aimer qu’en ce moment, où tout sentiment de tendresse lui était à elle-même défendu.

Mais si cette nouvelle pensée lui fit une vive impression, elle ne put cependant l’occuper que peu d’instants : la position humiliante de Lydia, la honte, le chagrin dont elle abreuvait toute sa famille, souvenirs déchirants ! absorbèrent en elle tout intérêt personnel. Se couvrant la figure de son mouchoir, Élisabeth perdit bientôt toute autre pensée ; et ce ne fut qu’après une pause assez longue qu’elle fut rappelée à elle-même par la voix de Darcy, qui, d’un air à la fois mêlé de compassion et de gêne lui dit :

« Je crains de vous avoir fait désirer trop longtemps mon absence, mais que puis-je dire en excuse de mon importunité ?