Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/45

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— Oui, j’y comprends beaucoup de choses.

— Oh ! bien certainement ! s’écria la complaisante Mlle Bingley. On ne peut dire qu’une femme soit vraiment accomplie si elle n’est en tout supérieure à la plupart des personnes de son sexe… Elle doit posséder à fond la musique, le dessin, la danse et les langues étrangères ; de plus, il faut qu’elle soit douée d’un certain je ne sais quoi dans sa manière d’être et de marcher, dans le son de sa voix, dans ses expressions…, ou ce titre ne serait qu’à moitié mérité.

— Elle doit posséder tout cela, dit Darcy, mais il lui faut encore unir à un jugement sain une parfaite connaissance des auteurs anciens et modernes.

— Je ne suis plus étonnée, reprit Élisabeth, que vous ne connaissiez que six femmes accomplies ; je suis même presque surprise que vous en connaissiez une.

— Êtes-vous assez sévère à l’égard de votre sexe pour douter de la possibilité de tout ceci ?

— Je n’ai jamais vu de femme qui ressemblât au portrait que vous venez de tracer : je ne croyais pas qu’une seule personne pût réunir autant de qualités. »

Mme Hurst et Mlle Bingley se récrièrent sur l’injustice d’un tel doute et assurèrent qu’elles connaissaient beaucoup de femmes qui répondaient à cette description, lorsque M. Hurst les força au silence en se plaignant amèrement du peu d’attention qu’elles donnaient au jeu. La conversation étant interrompue, Élisabeth quitta le salon.

« Éliza Bennet, dit alors miss Bingley, est une de ces jeunes personnes qui cherchent à se faire valoir auprès de l’autre sexe en diminuant le mérite du leur ; avec bien des hommes, je crois que cela réussit : mais, selon moi, c’est un moyen pitoyable, un bien pauvre artifice.

— Il y a sans doute de la petitesse, reprit M. Darcy, à qui cette remarque était particulièrement adressée, dans toutes les ruses que les dames daignent quelquefois employer pour nous captiver ; tout ce qui tient à l’art est méprisable. »