Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/50

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pas sir William fort aimable, monsieur Bingley ? Ses manières sont si distinguées, il a toujours quelque chose de joli à dire : voilà ce que, moi, j’appelle un homme bien élevé ; et ceux qui croient montrer leur importance par un air froid et dédaigneux se trompent beaucoup.

— Charlotte a-t-elle dîné avec vous ?

— Non, elle n’a pas voulu rester. Je pense que sa mère avait besoin d’elle pour faire les minces pies. Quant à moi, monsieur Bingley, j’ai des domestiques pour tout. Mes enfants sont autrement élevées, mais chacun fait à sa manière. Les demoiselles Lucas sont de bien bonnes filles, c’est dommage qu’elles ne soient pas jolies ; ce n’est pas que je trouve miss Lucas très laide, mais aussi elle est notre intime amie.

— Elle paraît fort aimable, dit Bingley.

— Oui, mais il faut avouer qu’elle est bien laide ; lady Lucas elle-même me l’a souvent dit : elle m’envie la beauté d’Hélen. Je ne devrais pas louer ma propre fille, mais, à dire vrai, on ne voit pas beaucoup de femmes plus jolies qu’elle ; c’est ce que tout le monde dit. Elle avait à peine quinze ans quand un ami de mon frère Gardiner en devint amoureux ; ma belle-sœur croyait qu’il l’aurait demandée en mariage, mais il n’en fit rien : je pense qu’il la trouvait trop jeune. Il composa néanmoins des vers à sa louange, et je vous assure qu’ils étaient bien jolis.

— Et ainsi finit son attachement, dit Élisabeth avec impatience ; beaucoup d’autres que lui se sont guéris de même. Je voudrais bien savoir qui a découvert le premier l’efficacité qu’a la poésie pour chasser l’amour ?

— J’avais toujours considéré la poésie comme un aliment de l’amour, dit Darcy.

— Oui, d’un amour très enraciné. Tout nourrit une passion déjà profonde, mais, si ce n’est qu’une inclination légère, je suis persuadée qu’un couplet la détruirait entièrement. »