Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/74

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— Vous avez raison, dit M. Bennet, il est heureux que vous possédiez le talent de flatter avec délicatesse. Ne serais-je pas indiscret en vous demandant si ces jolies phrases vous viennent sur-le-champ, ou si elles sont le fruit d’une préparation ?

— En général j’obéis à l’impulsion du moment, mais, bien que parfois je m’amuse à faire ma petite provision de ces phrases élégantes, applicables aux circonstances, mon but est toujours de leur donner tout le charme de l’impromptu. »

L’attente de M. Bennet fut parfaitement réalisée ; son cousin était tel qu’il l’avait souhaité ; il l’écoutait avec la plus vive satisfaction, sans rien perdre de son sérieux, et n’en partageait le plaisir que par un regard adressé de temps en temps à Élisabeth.

À l’heure du thé, ayant joui à son aise des ridicules de son convive, il le ramena dans le salon et l’engagea, aussitôt qu’on eut pris le thé, à faire une lecture à ces dames. M. Colins y consentit. On lui présenta un livre, mais, en le regardant, comme tout annonçait que ce livre provenait d’un cabinet de lecture, il recula d’effroi et, en s’excusant, assura qu’il ne lisait jamais de romans. Kitty, tout étonnée, le regardait, et Lydia s’écria « Cela est-il possible ? » D’autres livres lui furent présentés. Après un long examen, il choisit enfin les sermons de Fordyce. À peine eut-il ouvert le livre que Lydia bâillait déjà, et avant la troisième page elle l’interrompit.

« Savez-vous, maman, dit-elle, que mon oncle Philips parle de renvoyer Richard ?

— S’il le fait, le colonel Forster est décidé à le prendre ; j’irai demain à Meryton, savoir ce qui en est, et il faut aussi que je m’informe si le capitaine Carter est revenu de Londres. »

Ses sœurs la firent taire, mais M. Colins, fort blessé, ferma son livre et dit :

« J’ai souvent remarqué le peu de goût qu’ont les jeunes personnes pour les ouvrages sérieux, écrits cependant pour leur bien : cela m’étonne, je l’avoue ; l’étude est la nourriture de l’âme ;