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Page:Aviler - Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique.djvu/16

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DISCOURS PRELIMINAIRE

de paſſer pour inventeurs : de là naiſſent la meſintelligence & la confuſion, qu’accompagnent toujours la décadence & le dégoût.

Quoi ! le grand nombre de Traités ſur l’Architecture auroit plutôt nui que contribué à ſa perfection ? Nous ſentons combien il eſt délicat de répondre abſolument à cette queſtion. Mais il eſt notoire à tout le monde que les Grecs & les Romains n’avoient puiſé dans aucun écrit ce goût exquis qu’on a toujours admiré dans leurs ouvrages, & que Vitruve, le premier écrivain, n’exiſtoit point encore lorſqu’ils ont élevé ces beaux monumens qui font leur ſplendeur & leur gloire. Nous ne prétendons pas dire par là que l’Architecture ne doive rien aux Traités qu’on a publiés ſur ce bel art ; cette prétention ſeroit une injuſtice criante, & nous ne donnerions pas une idée bien avantageuſe de notre Dictionnaire en l’adoptant. Il n’y a que ces ames lâches qui vivent dans une criminelle inaction, ou qui, plus coupables encore, n’agiſſent que pour nuire, qui ſoient inſenſibles aux travaux des hommes qui cherchent véritablement à nous inſtruire : dignes de nos hommages, nous devons un tribut d’éloges, non ſeulement à leur ſuccès, mais même à leur erreur.

Notre deſſein n’eſt donc point de blâmer aucun écrit : ils renferment tous aſſez de beautés pour nous les rendre précieux. Seulement nous demandons, où les Grecs & les Romains ont-ils puiſé des connoiſſances auſſi élevées pour conſtruire de ſi ſomptueux édifices ? Et pourquoi nous qui aurions dû renchérir ſur leurs travaux, avons-nous dégénéré, malgré le grand nombre de Traités, & les réflexions des habiles gens qui ont paru depuis ?

Voilà deux queſtions bien extraordinaires, & pourtant bien fondées : nous avons long-tems réfléchi pour en trouver la ſolution, & après un examen ſcrupuleux des meilleurs livres d’Architecture, nous avons reconnu que les productions de cet art étant ſoumiſes à l’organe de la vûe, c’étoit cet organe ſeul qu’on devoit conſulter dans une compoſition. Il falloit, par des expériences réitérées, juger de l’effet le plus agréable que pouvoit produire l’enſemble d’un édifice, & d’après elles établir des règles générales, & jetter les fondements d’une théorie. Les anciens n’ont pû ſuivre d’autre méthode, & ceux qui l’ont adoptée ont toujours produit de belles choſes. Nous pouvons citer un exemple, c’eſt M. Perrault, à qui l’on doit des morceaux dignes de l’antiquité la plus floriſſante, & qui, ennemi de toute théorie purement ſpéculative, blâmoit hautement ces principes abſtraits auxquels on veut abſolument aſſujettir l’organe de la vûe, au lieu que les principes devroient être ſoumis à l’organe. Auſſi voit-on les façades du plus grand nombre des édifices modernes, maniérées & chargées de petits détails, qui, n’étant point également ſaiſis par l’œil comme les autres parties de la façade, cauſent une ſenſation obſcure, qui inquiète le ſpectateur ; parce que ces détails, dûs à des régles idéales, ont été groſſis par l’imagination lorſqu’on a cru pouvoir en faire uſage.

On peut conclurre de ce raiſonnement, que l’Architecture n’a point de régles par elle-même, & que ce ſont celles de l’optique qu’on doit y adapter. Si les Architectes ſe fuſſent attachés à connoître la maniere dont ſe fait la viſion, les différentes ſenſations que l’organe de la vûe éprouve ſelon qu’il