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DISCOURS PRELIMINAIRE

eſt diſpoſé, & la façon dont les objets ſe préſentent à l’œil, ſuivant leur ſituation à ſon égard, il n’eſt point douteux que nous n’euſſions une belle théorie de l’Architecture, & que nos bâtimens, plus magnifiques encore que ceux des Romains, ne captivaſſent l’admiration des hommes même qui ne connoiſſent point ce ſentiment délicieux. Mais telle eſt la triſte condition de l’eſprit humain, que de mille routes qui conduiſent à la perfection, celle qui eſt la plus droite eſt celle qu’il évite, pour ſuivre quelquefois la plus tortueuſe. Nous citons ici, à regret, un exemple de cette vérité. Après les recherches les plus profondes pour découvrir les proportions de l’Architecture, on a cru enfin que c’étoient les proportions harmoniques, & qu’on devoit conſulter les oreilles pour voir, pour juger de la beauté d’un édifice. MM. Blondel & Briſeux, le premier Auteur, le ſecond Promoteur d’une idée ſi ſinguliere, ſoutiennent que les ouvrages des Grecs & des Romains ſont ſoumis à ces proportions. Celui-ci, plus hardi que ſon prédéceſſeur, prétend que la Muſique eſt intimement liée avec l’Architecture ; &, ce qui eſt encore plus étonnant, que ce qui flatte les oreilles doit plaire aux yeux.[1]

Nous eſtimons trop les ouvrages de M. Briſeux pour nous arrêter ſur ſes erreurs qu’il a bien rachetées par des réflexions très-judicieuſes : nous nous rappelons même avec douleur la perte que nous venons de faire de cet Architecte ; & cette fâcheuſe penſée ne nous permet plus que de répandre quelques fleurs ſur ſon tombeau. Nous dirons donc que M. Briſeux eſt le premier qui a cru que le beau eſſentiel de l’Architecture conſiſte dans les ſenſations. Il manquoit ſans doute à cet habile homme une connoiſſance plus étendue de nos ſens, connoiſſance que les Architectes n’ont pas été aſſez jaloux d’acquerir, ni les auteurs de mettre en œuvre.

Les élémens de l’optique ſont les élémens de l’Architecture : c’eſt une propoſition que nous venons d’avancer, & que nous croyons très-vraie. Mais il ne faudrait pas conclure de là qu’on démontrera jamais les régles du beau comme celles de la viſion ; un ſentiment auſſi délicieux & auſſi délicat que celui du goût, ne comporte point de régles. Les principes généraux peuvent bien les diriger & les renfermer dans les bornes qui lui conviennent ; mais c’eſt à l’ame même à ſaiſir ces impreſſions douces & inſenſibles, qui l’affectent intimement, & qui, échappant au raiſonnement le plus ſubtil, ne ſe manifeſtent que quand on les éprouve. Il n’y a ici que les expériences qui puiſſent dévoiler au dehors le ſentiment du beau, & nous rendre familières ces ſenſations fines & agréables dont nous jouiſſons.

Ce ne ſont pas là les ſeules modifications qu’on doit apporter aux régles. L’Architecture eſt encore aſſujettie aux caprices de l’imagination. Voilà peut-être une expreſſion trop forte après tout ce que nous avons dit ; cependant comme nous la croyons juſte, nous l’adoptons, & nous ne croyons pas nous contredire. En effet, le caractère qu’on doit donner aux édifices, eſt une choſe de pure convention, & abſolument idéale. Il eſt eſſentiel qu’un bâtiment ſoit conforme à l’uſage auquel il eſt deſtiné, & qu’il annonce même

  1. Voyez l’article Architecture, dans ce Dictionnaire.
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