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ou diverses ? Quelle était, dans l’œuvre de la transmission des contes, la part propre des Juifs ? celle des Byzantins ? celle des croisés ? celle des pèlerins ? celle des prédicateurs, qui, les ayant recueillis en Syrie, revenaient les prêcher en France ?

Surtout, ce qui devait être neuf et fécond, c’était d’étudier par quel travail d’adaptation les jongleurs avaient approprié aux mœurs chrétiennes, féodales, des contes tout imprégnés d’idées indiennes ; comment l’imagination orientale s’était réfractée dans des consciences françaises, jusqu’à modifier l’esprit de notre littérature, et peut-être de nos mœurs.

Je n’ignorais pas, même dans cette période de foi profonde en ces doctrines, que d’autres systèmes existaient, selon lesquels toute la vérité ne serait pas enclose dans la théorie orientaliste : l’un qui, de Grimm à M. Max Müller, s’obstinait à rapporter les contes populaires, non pas à l’Inde des temps historiques, mais aux âges primitifs de la race aryenne ; l’autre, plus jeune, qui, de Tylor à M. Andrew Lang, croyait y trouver, non pas des conceptions bouddhistes, mais des survivances de mœurs abolies, dont pouvait seule rendre compte l’anthropologie comparée. — Pourtant à quoi bon s’y arrêter ? D’un côté, un système d’une belle simplicité, d’un positivisme séduisant, qui ramène à l’Orient, par des voies sûres, d’étape en étape, des contes de tout genre, contes de fées, contes à rire, contes d’animaux ; de l’autre, des théories… qui le combattent ? — non pas ; qui lui concèdent, au contraire, la validité de ses arguments, quand il fait venir de l’Inde des contes à rire et des fables, et qui, pourtant, prétendent trouver, dans une seule classe de récits, — dans les contes merveilleux, — tantôt des mythes aryens, tantôt des traces de mœurs sauvages.