Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 1.pdf/23

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et l’amour ne pouvaient guère plus que fournir des cadres pour les idées qui préoccupaient le peuple exalté par la révolution, et ce n’était plus seulement avec les maris trompés, les procureurs avides et la barque à Caron, qu’on pouvait obtenir l’honneur d’être chanté par nos artisans et nos soldats aux tables des guinguettes. Ce succès ne suffisait pas encore ; il fallait de plus que la nouvelle expression des sentiments du peuple pût obtenir l’entrée des salons, pour y faire des conquêtes dans l’intérêt de ces sentiments. De là, autre nécessité de perfectionner le style et la poésie de la chanson.

Je n’ai pas fait seul toutes les chansons depuis quinze ou dix-huit ans. Qu’on feuillette tous les recueils, et l’on verra que c’est dans le style le plus grave que le peuple voulait qu’on lui parlât de ses regrets et de ses espérances. Il doit sans doute l’habitude de ce diapason élevé à l’immortelle Marseillaise, qu’il n’a jamais oubliée, comme on l’a pu voir dans la grande Semaine.

Pourquoi nos jeunes et grands poètes ont-ils dédaigné les succès que, sans nuire à leurs autres travaux, la chanson leur eût procurés ? notre cause y eût gagné, et, j’ose le leur dire, eux-mêmes eussent profité à descendre quelquefois des hauteurs de notre vieux Pinde, un peu plus aristocratique que ne le voudrait le génie de notre bonne langue française. Leur style eût sans doute été