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du secours de l’imprimerie. Quand son premier recueil fut imprimé, le public chantant n’y apprit rien qu’il ne sût à l’avance. Il en eût été de même pour les suivants ; quelques copies distribuées de main en main auraient suffi ; la tradition vivante, l’harmonieuse clameur l’aurait soutenu et sauvé, comme on le rapporte des premiers rapsodes de l’antiquité. Béranger eût vécu dans la mémoire des hommes à la façon d’Homère, vie inconnue à la plupart des poëtes de notre âge, et due (l’inspiration d’ailleurs y aidant) au refrain pour les paroles, au cadre pour l’idée.

« Un jour, au printemps de 1827, autant qu’il m’en souvient[1], Victor Hugo aperçut dans le jardin du Luxembourg M. de Chateaubriand, alors retiré des affaires. L’illustre promeneur était debout, arrêté et comme absorbé devant des enfants qui jouaient à tracer des figures sur le sable d’une allée. Victor Hugo respecta cette contemplation silencieuse, et se contenta d’interpréter de loin tous les rapprochements qui devaient naître, dans cette âme orageuse de René, entre la vanité des grandeurs parcourues, et ces jeux d’enfants sur la poussière. En rentrant, il me raconta ce qu’il venait de voir, et ajouta : « Si j’étais Béranger, je ferais de cela une chanson. » Par ce seul mot, Victor Hugo définissait merveilleusement, sans y songer, le petit drame, le cadre indispensable que Béranger anime : qu’on se rappelle Louis XI et l’Orage.

« Ce cadre voulu, cette forme essentielle et sensible, cette réalisation instantanée de sa chanson, cet éclair qui

  1. M. Sainte-Beuve, Revue des Deux Mondes.