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Page:Béranger, oeuvres complètes - tome 1.pdf/49

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ne jaillit que quand l’idée, l’image et le refrain se rencontrent, est un ; Béranger l’obtient rarement du premier coup. Il a déjà son sujet abstrait, sa matière aveugle et enveloppée ; il tourne, il cherche, il attend, les ailes d’or ne sont pas venues. C’est après une incubation plus ou moins longue, qu’au moment souvent où il n’y vise guère, la nuit surtout, dans quelque court réveil, un mot inaperçu jusque-là prend flamme et détermine la vie. Alors, suivant sa locution expressive, il tient son affaire, et se rendort. Cette parcelle ignée, en effet, cet esprit pur qui, à peine éclos, se loge dans une bulle hermétique de cristal que la reine Mab a soufflée, c’est toute sa chanson, c’en est le miroir en raccourci, la brillante monade, s’il est permis de parler ce langage philosophique dans l’explication d’un acte de l’âme, qui certes ne le cède à aucun en profondeur. Le poëte mettra ensuite autant de temps qu’il voudra à la confection extérieure, à la rime, à la lime, peu importe ; il y mettrait deux mois ou deux ans, que ce serait aussi vif que le premier jour ; car, encore une fois, comme il le dit, il tient son affaire. »

Le fait le plus remarquable de la vie privée de Béranger, c’est son amitié avec Manuel. Il l’avait connu en 1815, et dès lors tous les deux s’unirent étroitement. Béranger appréciait chez le vétéran d’Arcole l’intelligence ferme et lucide, les sentiments chauds et droits, la franchise sans rien de factice, le naturel sans aucun effort : bras, tête et cœur, tout était peuple en lui. Sa noble amitié conserve la mémoire de Manuel. Dans un temps où tant de tribuns parvenus ont menti aux serments que leurs lèvres avaient jurés, quand la maladie