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Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/551

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Je lui crie : — Où vas-tu, pauvrette ?
Maint gendarme t’attend là-bas ;
Des mouchards la foule te guette ;
Le commissaire suit tes pas.
— Tant de peine qu’on leur voit prendre,
Dit-elle, accroît l’espoir que j’ai :
Du peuple ils me font mieux comprendre ;
C’est un commentaire obligé.

— Moi qui suis vieux, pour toi je tremble ;
On va te barrer le chemin.
Vois ces bataillons qu’on rassemble,
Ces escadrons le sabre en main.
— Bien mieux que tambours et trompettes
Réveillant un cœur endormi,
Je passe entre les baïonnettes
Pour recruter chez l’ennemi.

— Fuis, mon enfant ; fuis, je t’en prie ;
On détruira jusqu’à ton nom.
Vois-tu venir l’artillerie ?
La mèche approche du canon.
— Peut-être aussi sera-t-il nôtre,
Ce canon qui fait ton effroi.
C’est un avocat comme un autre :
Il peut demain plaider pour moi.

— Les députés t’ont prise en haine.
— Au plus fort ils donnent raison.
— Les ministres forgent ta chaîne.
— Mes ailes poussent en prison.
— Contre toi l’Église aussi gronde.
— À son encens j’aurai mon tour.
— Les rois te bannissent du monde.
— Je me cacherai dans leur cour.

Mais soudain quel affreux carnage !
Partout du sang ! partout la mort !
La discipline ôte au courage
Le prix d’un héroïque effort.
C’est en vain. Plus forte et plus calme,
L’Idée, embrassant un tombeau,
Aux vaincus décerne une palme
Et s’envole avec leur drapeau.