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Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/579

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Tu m’as vu jadis au village.
Ta Suzette, qui t’aimait tant,
C’était moi ; mais le mariage
Effraya ton cœur inconstant.
Favori d’une châtelaine,
Tu délaisses, fier de ses lacs,
Le bonheur en jupe de laine
Pour les plaisirs en falbalas.

C’était moi, la tante si sage
Qui t’eût légué, comme à son fils,
Au prix d’un court apprentissage,
Négoce, labeurs et profits.
Le travail n’a pas qu’un mobile :
Un noble but peut l’animer.
Sois, dis-je, un citoyen utile.
Tu me réponds : Je veux rimer.

C’était moi, lorsque l’indigence
Déjà fustigeait ton penchant,
Ce vieillard rempli d’indulgence
Qui t’offrit sa fille et son champ.
Des cités l’ombre est délétère ;
D’air pur, ici, viens t’enivrer,
T’ai-je dit ; cultive la terre.
Tu réponds : Je veux l’éclairer.

Devant tes pas fuyait la gloire ;
Moi, sans bruit, tapi dans un coin,
Souvent encor, tu peux m’en croire,
Je t’ai fait des signes de loin.
Mais à tes erreurs plus de trêve,
Et, sans m’accorder un coup d’œil,
Tu cours au galop de ton rêve,
Qui te jette au bord du cercueil.

L’homme s’écrie : — Ah ! plus de doute !
Oui, Bonheur, mon orgueil à jeun
T’a traité parfois, sur sa route,
Comme un mendiant importun.
Mais Dieu veut qu’aujourd’hui je meure.
Puisque enfin je te trouve ici.
Notre dernière heure est ton heure.
Viens me fermer les yeux. Merci !