Page:Béranger - Ma biographie.djvu/116

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même de Regnard, qui, comme l’auteur du Misanthrope, avec des moyens et un but différents, produit d’un jet la tirade et le dialogue dans une forme pleine d’esprit, d’abondance et de gaieté. Car, je ne puis m’empêcher de le dire ici, on néglige trop cet auteur dans nos cours littéraires, et l’on ne semble pas assez apprécier son style, improvisation folle et charmante, dont La Harpe n’a pu sentir tout le mérite. À mon avis, Regnard serait le premier des comiques modernes, si Molière ne nous eût pas été donné. Plus nous lui reconnaîtrons de génie, plus nous admirerons Molière, puisque ce sera encore avec plus d’étonnement que nous mesurerons la distance qui les sépare. Rousseau qui semble toujours croire que ceux qui font rire font rire de lui, ne l’a pas mieux traité que Molière[1]. Mais, je le demande, au Légataire universel donnez le titre du Vieux Célibataire, qu’auriez-vous à dire ?

Pour la centième fois, je me mis donc à relire mes auteurs favoris, et je ne me sentis plus le courage

  1. « Regnard, un des moins libres successeurs de Molière, n’est pas le moins dangereux. C’est une chose incroyable qu’avec l’agrément de la police on joue publiquement au milieu de Paris une comédie où dans l’appartement d’un oncle qu’on vient de voir expirer, son neveu, l’honnête homme de la pièce, s’occupe, avec son digne cortége, des soins que les lois payent de la corde et qu’au milieu des larmes que la seule humanité fait verser en pareils cas aux indifférents mêmes, on égaye à l’envi de plaisanteries barbares le triste appareil de la mort. » (Lettre de J.-J. Rousseau à d’Alembert.)