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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/115

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affectant les habitudes de notre sexe. J’écrivis même plusieurs actes de ces deux pièces ; ce n’est pas ce qui devait leur manquer de sens commun qui m’arrêta, mais le soin que, presque malgré moi, je donnais à la facture des vers, préoccupé que j’étais du choix de la forme, de la saillie du mot, substituant même parfois l’image à l’expression simple de la pensée. De cette façon, qui tient de l’épître, on fait la comédie comme Gresset dans le Méchant ; mais on reste loin, je ne dirai pas de Molière[1], qui atteint seul la perfection du style comique, mais bien loin

  1. « Bien des gens se croient poëtes, parce qu’ils alignent des rimes ; ils se trompent : tout le monde fait des vers plus ou moins, cela n’est pas plus difficile que d’écrire en prose. Il faut de la force, de la concision, de l’énergie et de la simplicité ; la versification vient après : c’est pourquoi Molière est et restera le poëte par excellence. On approchera peut-être un jour de Corneille, mais jamais on n’égalera Molière, jamais on ne surpassera La Fontaine. Quelle clarté ! quelle aisance ! quel feu ! Diriez-vous autrement en prose l’idée exprimée par ces deux vers :

    L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait…
    La place m’est heureuse à vous y rencontrer.

    « Quelle concision et quelle abréviation ! En prose vous pourriez à peine vous exprimer en aussi peu de mots. Quant à La Fontaine, croyez-vous qu’il n’a pas fallu plus de génie et d’études pour écrire les Deux Pigeons, Philémon et Baucis, le Chêne et le Roseau (j’en passe et des meilleures) que pour composer cinq actes ? L’étude la plus approfondie de l’art dramatique se trahit dans ces petits chefs-d’œuvre ; toutes les règles classiques y sont observées, comme dans une tragédie de Racine, et le dialogue donc ! tenez, si jamais un homme approche de Molière, c’est La Fontaine. (Correspondance, t. IV, p. 239.)