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pension au faubourg Saint-Antoine[1], où l’on me conduisit bientôt et d’où je vis prendre la Bastille du haut des toits de la maison. C’est à peu près le seul enseignement que j’y reçus, car je ne me rappelle pas qu’on m’y ait donné aucune leçon de lecture et d’écriture. Pourtant j’avais déjà lu la Henriade avec notes et variantes, et une traduction de la Jérusalem, par Mirabaud, présents d’un oncle[2], tailleur comme mon grand-père, qui voulait me donner le goût des livres. Comment avais-je appris à lire ? Je n’ai jamais pu m’en rendre compte.

Le peu de temps que je passai dans cette pension m’a laissé deux souvenirs, outre la prise de la Bastille, que j’ai plaisir à me retracer.

Un vieillard y venait souvent visiter son petit-fils, le plus âgé des élèves, qui, à ce titre, avait la jouissance particulière d’un coin de jardin orné d’une verte tonnelle, sous laquelle le vieillard aimait à s’asseoir. À travers les capucines et les pois de senteur, j’allais silencieusement regarder le vénérable octogénaire, dont j’avais entendu plusieurs fois répéter le nom par mes camarades. C’était Favart[3], fondateur de l’Opéra-Comique, auteur de beaucoup de pièces à grand succès, entre autres, Annette et Lubin, la

  1. Rue des Boulets, chez l’abbé Chantereau.
  2. L’oncle Merlot.
  3. Né en 1710, mort en 1792.