Page:Béranger - Ma biographie.djvu/151

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souvent se brisent sa force et son originalité. Combien de nobles pensées, de généreux desseins avortés par l’effet de l’air qu’on respire dans les lieux où règnent le luxe et la mode ! N’allez pas croire à la perfidie de ceux qui vous y entraînent ou vous y accueillent ! leur bienveillance ne se doute pas du mal qu’ils vont vous faire. Ne vous laissez pas transplanter dans les salons dorés ; ils ne tarderaient pas à vous séparer de vos amis d’enfance et de jeunesse, qui n’ont pu parvenir comme vous et à qui sans doute vous devez une partie de votre première séve. Déjà homme d’expérience, je me suis cramponné à mon berceau et à mes vieux amis. Aussi que de fois, après avoir pris place à de somptueux banquets, au milieu de connaissances nouvelles, j’ai été dîner, le lendemain, dans une arrière-boutique ou dans une mansarde pour me retremper auprès de mes compagnons de misère ! Ne l’eussé-je fait que dans l’intérêt de la libre langue que je voulais parler, il y aurait eu sagesse de ma part. J’y gagnais aussi de ne pas rester étranger aux classes inférieures, pour qui je devais chanter et à l’amélioration desquelles j’aurais voulu pouvoir contribuer.

Quoique la société riche ait beaucoup plus étouffé de génies qu’elle n’en a fait éclore, il y a pourtant, pour de certaines intelligences, nécessité de la connaître. La parcourir fut pour moi un voyage à faire ;