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c’était mon tour du monde. Après l’avoir accompli, arrivé à plus de cinquante ans, j’ai quitté cette société sans peine, bien que je ne l’aie pas visitée sans plaisir ni sans fruit ; je dois, en effet, à cette pérégrination d’excellents amis et des souvenirs heureux. Je lui dois aussi de savoir qu’il y a autant de cœurs nobles et bons dans les classes d’en haut que dans les autres classes : en haut, malheureusement, la bonté est trop souvent l’esclave des habitudes, de l’oisiveté, de toutes les exigences du luxe, et des mauvaises idées qui sont mises en commun dans toul ce qui forme cercle à part.

En 1813 existait depuis plusieurs années une réunion de chansonniers et de littérateurs qui avait pris le nom du Caveau[1], en mémoire du caveau il-

  1. Aujourd’hui que les sociétés chantantes ne sont plus en vogue, il est à la mode de railler ces réunions que nos pères aimaient si bien et où se développa une partie de notre ancienne littérature légère. L’institution d’un Caveau date de 1729. On peut voir en détail l’histoire de cette sorte d’académie dans un article rédigé par M. Ourry pour le Dictionnaire de la conversation. Le spirituel épicier Gallet, ami de Piron, de Collé et de Crébillon fils, se ruinait volontiers à les héberger chez lui. Ils voulurent une fois le traiter à leur tour, et organisèrent chez le célèbre Landelle, rue de Buci, un festin d’apparat auquel ils convièrent, pour plus de solennité, Fuzelier, Saurin, Sallé, et en outre l’ombre de Crébillon le père qui était brouillé avec son fils, et qu’il s’agissait de désarmer de ses tragiques ressentiments. La réunion fut si gaie, qu’on la convertit en une fondation mensuelle. Les fondateurs s’adjoignirent successivement, pour soutenir leur œuvre, Duclos, Labruyère, Gentil-Bernard,