Page:Béranger - Ma biographie.djvu/22

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cousine : « Il m’est impossible de m’en charger. » Ce moment m’est présent encore. Mon grand-père, frappé de paralysie et retiré avec un revenu insuffisant, ne pouvait me garder. Mon père rejetait le fardeau et ma mère n’avait nul souci de moi. Je n’avais que neuf ans et demi, mais je me sentais repoussé de tous. Qu’allais-je devenir ? De pareilles scènes mûrissent vite la raison chez ceux qui sont nés pour en avoir un peu.

En grandissant je suis devenu laid, mais j’ai été un bel enfant et me suis dit souvent que j’en devais bénir la Providence. Cette beauté du premier âge peut exercer son influence sur toute notre vie, par les sourires dont elle nous entoure au moment où l’on a tant besoin d’appui. Je ne veux pas diminuer le mérite de l’action de ma tante, mais je la vois me regarder du coin de l’œil, puis, émue, attendrie, elle me presse dans ses bras et me dit, les larmes aux yeux : « Pauvre abandonné, je te servirai de mère ! » Jamais promesse ne fut mieux tenue.

J’ai perdu, il y a quelque temps, cette excellente femme, qui s’est éteinte à quatre-vingt-six ans, après avoir dicté son épitaphe, que voici :

JAMAIS ELLE NE FUT MÈRE,
ET POURTANT ELLE A LAISSÉ DES ENFANTS QUI LA PLEURENT.

Son neveu le poëte n’eût pas trouvé mieux à dire,