Page:Béranger - Ma biographie.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Voici comment je crois qu’il me fut présenté par Laffitte, qui entendait peu la matière : les tribunaux

    plume et écrivit à son ami la lettre qu’on va lire. Voilà comment cet homme si sage, si réfléchi et si modeste savait, au besoin, avoir du cœur, de la hardiesse et de l’orgueil.

    « À Monsieur Jacques Laffitte.

    « Mon cher ami, n’allez pas vous aviser de croire que je ne suis pas reconnaissant de ce que vous avez fait hier : Je vous assure bien que j’en suis touché et que je n’ai pas eu besoin de réfléchir pour cela ; mais j’ai dû penser à tout ce que vous m’avez dit, et je ne puis vous dissimuler que cette démarche me tourmente. Je suis persuadé qu’elle vous a coûté à vous-même ; mais sans examiner ce point, qui, en définitive, ne peut qu’ajouter au prix que je mets à cette nouvelle preuve de votre amitié, voyons quel avantage je puis retirer de l’arrangement en question.

    « Non, non ; je dois à mon caractère, au public, à mon avocat lui-même, de protester contre cette manière de procéder. Quant à n’être condamné qu’au minimum, à quoi bon ? Est-ce bien important pour moi ? Au contraire ; et, plus forte sera la peine, et plus les auteurs de ma condamnation paraîtront d’abord odieux. Si donc je n’ai que six mois de prison, je vous préviens que je prendrai toutes les précautions imaginables pour éviter la maladie et l’allégeance de la maison de santé. Une détention plus longue me rendrait sans doute moins superbe ; et voyez donc ce que je gagnerais à tous vos arrangements ! La honte d’avoir abandonné une défense dont les principes peuvent être utiles, le mécontentement de moi-même et peut-être un échec à cette popularité qu’on veut en vain me contester, et qui est un besoin de mon talent !

    « Il n’y a pas à s’en dédire, mon ami, je suis populaire, ma popularité est grande, au moins. Savez-vous que dans les cafés, dans les marchés, partout on s’occupe de mon procès plus que de la Prusse, des Russes et des Turcs ? Une poissarde disait devant la servante d’un de mes amis : « Ce pauvre b… de Béranger, ils vont le condamner encore ! C’est égal : qu’il chante toujours. Un commissionnaire ré-