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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/248

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correctionnels jaugeant alors les affaires de presse, si j’avais voulu faire défaut, on promettait, par un

    pondait : « Il n’y a que lui et M. Laffitte. Lui, il se f… d’eux et M. Laffitte nous fait seul travailler et donne aux pauvres. » Le plaisir de vous raconter cette anecdote, très-certaine, m’éloigne de mon sujet : j’y reviens.

    « Vous me connaissez assez pour savoir que le désir du scandale et du bruit n’est pas ce qui me pousse ; mais il s’agit de proclamer un principe utile, il s’agit de le défendre avec courage, il y va de mon devoir et de l’honneur de mon caractère. En vain votre amitié m’a démontré ce que je savais très-bien, c’est-à-dire que je faisais la guerre à mes dépens, et que, plus les coups seraient vifs que l’on allait porter en mon nom, plus je serais exposé à mille petites vengeances. Je vous réponds : C’est le devoir ! Quant à ma santé, que vous invoquez, vous faites trop bon marché de ma santé ; rassurez-vous, j’ai la vie dure !

    « Quant à l’argent, la captivité l’aura bien vite épuisé… Je sais qu’en prison tout est cher ; mais enfin, si ma bourse est vide, je saurai comment la remplir : vous êtes là. Je ferai alors ce que vos offres cent fois réitérées ne m’ont pas fait faire encore. Je vous demanderai de l’argent quand le mien sera écoulé, et ce ne sera pas même sous forme d’emprunt, si votre amitié l’exige. Vous voyez que je pense à tout.

    « Encore une fois, voyez que, dans le projet que vous me soumettiez hier, si l’autorité paraît reculer devant une plaidoirie, l’accusé recule aussi devant le pouvoir que sa défense pourrait offenser. Supposez un moment que vous seul vous soyez le public, et demandez-vous si, témoin d’un jeu pareil, vous n’en chercheriez pas les ressorts cachés et si cette découverte n’ôterait pas quelque chose à l’estime, à l’intérêt que vous porteriez à l’accusé ? Croyez-moi, mon cher Laffitte, il est des instants où l’homme le plus modeste a besoin de s’exagérer sa propre valeur, et je crois être dans un de ces instants-là. Prenons donc tout au pire : on me met en prison pour plusieurs années ; alors il m’est bien permis de croire que la France en poussera un cri d’indignation ! allons plus loin : je meurs dans les fers. Ne m’est-il pas permis de croire aussi que, pendant tout un demi-siècle, et tout au moins ma mort restera comme un sanglant reproche à la mémoire de certaines gens, et savez-vous que ce serait la plus terrible accusation