Page:Béranger - Ma biographie.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et je commence même à ne savoir guère plus vivre qu’en tête-à-tête avec mes pensées, quand mes vieux amis ne sont pas là.

Malgré l’inconcevable popularité qui s’est attachée à mon nom, malgré les suffrages de tant d’hommes supérieurs et les louanges qui m’ont été prodiguées jusque sur le théâtre, qu’on ne croie pas que je me dissimule l’inconvénient, pour moi, de n’être pas de l’Académie. J’y perds aujourd’hui la considération particulière qu’elle donne à ceux qui en font partie, n’importe à quel titre et ma mort sera privée des honneurs solennels[1] qu’elle décerne à ses membres défunts, honneurs dont fait semblant de rire tel qui les envie et que le public est loin de regarder d’un œil indifférent. Qui sait même si ma conduite, mal interprétée, n’indisposera pas l’Académie contre ma mémoire, si peu que ma mémoire doive me survivre ? J’ai aimé trop sincèrement les lettres pour ne pas le craindre ; et cette crainte, j’hésite d’autant moins à l’exprimer ici, qu’elle répond à ceux qui m’ont accusé de ne pas aspirer au fauteuil pour me singulariser. Aujourd’hui, où on n’estime que la singularité qui profite, j’aurais fait un mauvais calcul. Au reste, je le déclare, si je n’ai pas toujours reconnu l’utilité

  1. Il n’est pas de funérailles qui, dans ce temps-ci, aient été menées avec une plus grande pompe populaire. On n’oubliera pas le mouvement national du 17 juillet 1857.