Page:Béranger - Ma biographie.djvu/37

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ensanglantaient Arras, où régnait le farouche Lebon, mon père était devenu, en Bretagne, intendant de la comtesse de Bourmont, dont le fils est aujourd’hui maréchal. On l’avait arrêté comme fédéraliste[1], et il faisait partie des cent trente-deux Nantais sous le nom de Béranger de Mersix. Mes parents me cachèrent son arrestation et la souffrance qu’il éprouva jusqu’au moment de sa délivrance, obtenue par jugement après le 9 thermidor[2].

Lorsqu’il vint nous voir en 1795, il ne fut pas peu scandalisé de mes opinions si opposées aux siennes, car il était fou de royalisme. Aussi tenta-t-il une conversion que ma jeunesse lui faisait supposer facile ; mais il s’aperçut bientôt qu’il avait affaire à un petit ergoteur, qui ne cédait pas plus aux sermons qu’aux caresses. Il s’en dépita et eut avec ma tante, et devant moi, une conversation que je n’ai pu oublier, car elle-même en a souvent ri depuis en me la rappelant. « Ma sœur, lui dit-il, cet enfant est gangrené de jacobinisme. — Dites donc nourri de républicanisme, mon frère. Dans ce pays, le jacobinisme n’a été qu’un mot. — Jacobin ou républicain, c’est tout un pour moi, et ce marmot a sucé le lait des plus mauvaises doctrines.

  1. Au mois de pluviôse an II. Il resta en prison de décembre 1793 à septembre 1794.
  2. Le 28 fructidor.