Page:Béranger - Ma biographie.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

soupçonner qu’il y avait bien quelque chose à redire à ma méthode…

Ma tante s’était remariée à un M. Bouvet, homme d’instruction, d’esprit, de génie peut-être, mais d’une bizarrerie d’humeur qui, approchant de la folie, m’a donné la clef du caractère de Rousseau, dont il semblait avoir les idées et dont sa parole simulait quelquefois l’éloquence. Il tenta aussi vainement de m’enseigner le français ; moins qu’un autre, il pouvait avoir d’ascendant sur moi, qui, déjà exercé à juger ceux qui m’entouraient, ne tardai pas à m’apercevoir qu’il rendait ma tante malheureuse, ce que je n’avais que trop prédit. Aussi avais-je tâché de la détourner de ce mariage. « J’aurais dû t’écouter, » me disait souvent la pauvre femme.

Tandis qu’elle me nourrissait de maximes républicaines, dans une ville préservée par André Dumont[1] des meurtres qui, à quelques lieues de là,

  1. Peu de conventionnels en mission se sont livrés à des déclamations aussi furibondes qu’André Dumont ; il dut à cela d’inspirer une confiance qu’il fit tourner au profit de son département. Beaucoup d’arrestations eurent lieu à grand bruit, mais un ou deux imprudents furent, à Amiens, les seules victimes sacrifiées au salut de tous. J’ai toujours été surpris du peu de reconnaissance qu’inspire à ses concitoyens cet homme, dont l’humanité contrastait si courageusement avec la cruauté de beaucoup de ses collègues. Je l’ai vu faire publiquement justice de dénonciations absurdes et envoyer les dénonciateurs en prison. Je ne savais pas alors tout ce qu’il courait de risques en agissant ainsi. (Note de Béranger.)