Page:Béranger - Ma biographie.djvu/375

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placer encore plus haut qu’il ne l’avait encore été ? Ceux qui disent aujourd’hui de mes chansons que ce sont des odes seraient les premiers à crier que je n’ai fait que des chansons, que c’est bien peu de chose que des chansons. Avouez qu’il ne doit pas me convenir de les aider à prouver qu’ils n’ont que trop raison.

« Je ne puis me dissimuler, d’ailleurs, que l’on n’entre pas dans une société sans y contracter des engagements de devoir et de délicatesse. Or, il faut ici que je vous confesse, mon cher ami, que j’ai un ouvrage en tête, qui ne peut être écrit dans un esprit académique. Pensez-vous donc qu’il me convienne, avec un pareil projet, de m’exposer à commettre un acte d’ingratitude, et n’est-ce pas déjà trop que la reconnaissance que j’ai pour tout ce que vous me proposez, et la bienveillance de plusieurs de vos collègues ? C’est parce que la reconnaissance est un culte pour moi que j’ai toujours redouté de contracter même de légères obligations, et vous voulez m’en faire contracter de grandes ! J’ai tout sacrifié au besoin d’indépendance ; ne me ravissez pas le fruit de tant d’efforts, souvent si pénibles.

« Vous allez me répéter, je le sais bien, ce que vous m’avez déjà dit : Les liens que l’Académie impose sont bien peu embarrassants ; vous m’avez, à ce propos, cité La Fontaine, qui les a recherchés. Que vous ai-je répondu ? La Fontaine était un bon homme ; moi je suis un homme bon, je le crois, mais point du tout un bon homme, malheureusement. La pauvreté et l’expérience ont bien fourré un peu de philosophie en mon humble cervelle, et peut-être encore dois-je à la nature quelques petites qualités de cœur, puisque j’ai toujours eu bon nombre d’excellents amis ; mais je n’ai jamais vécu de façon à assouplir mon humeur, et je vous avoue que, parfois, elle n’est ni très-raisonnable ni très-douce. Avec une folle pareille,