Page:Béranger - Ma biographie.djvu/376

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me puis-je hasarder à m’asseoir auprès d’hommes, tous très-estimables sans doute, mais qui, certes, ont aussi leur humeur, et qui pourraient bien ne pas s’arranger du voisinage de la mienne, peu endurante et habituée à casser les vitres, même celles des Tuileries, s’il vous en souvient ?

« Observez ma conduite dans le monde : vous verrez que je n’ai guère fait que le traverser en curieux, tâchant toujours de ne prendre racine nulle part. Si dans la foule j’ai distingué quelques bons camarades, je leur ai donné rendez-vous loin d’elle, avec d’anciens et francs amis que j’ai su conserver, et au nombre desquels vous savez, mon cher Lebrun, que je suis heureux de vous compter. Ceux de mes amis qui ont monté trop haut pour moi, je m’en tiens éloigné, mais sans rien diminuer, pour cela seul au moins, de l’attachement que j’ai conçu pour eux autrefois. Cette conduite, mon cher ami, tient à une règle que je me suis faite de bonne heure, car les hommes qui ont eu beaucoup à souffrir sont obligés d’être sages dès le grand matin. Autant que je l’ai pu, je n’ai jamais accepté rien qui ne fût pas en rapport avec mon caractère et mes goûts, avec mes goûts surtout, qui, peut-être, par leur simplicité, m’ont tenu lieu de vertu et de raison. Et ne croyez point que cela ne soit pas rare dans la société comme elle est faite de nos jours.

« Des sots, ou des gens qui ne me connaissent point, ont cru, ou même ils ont feint de croire, après la Révolution de juillet, que j’avais refusé des places et des distinctions pour me singulariser ; non, vous le savez. Les places et les distinctions n’allaient ni à mes goûts ni à mon caractère, et c’est pourquoi je ne les ai pas recherchées. Cependant me suis-je vanté de ma modération ? ai-je fait retentir les journaux de mes refus désintéressés ?

« On tombe assez souvent dans la même erreur, je le sais,