Page:Béranger - Ma biographie.djvu/429

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant ce temps les rues s’emplissaient ; une armée se rangeait sur le chemin et tout un peuple accourait. La douleur publique, surprise par la rapidité de la cérémonie, n’en fut que plus profonde. La multitude inconnue, la nation tout entière avait compris qu’elle perdait son ami le plus cher et sa gloire la plus pure. Dès les premiers pas, en quittant la maison mortuaire, on vit quelle grande journée devait être ce jour de deuil. Du milieu de la rue Vendôme, les hauteurs de la rue Meslay apparurent comme un cirque rempli : toutes les têtes étaient découvertes ; le recueillement avait fermé toutes les bouches. Aucun pinceau ne reproduira les scènes touchantes de ces funérailles ; les flots d’hommes, de femmes et d’enfants que contenait avec peine sur le boulevard une longue haie militaire et qui voulaient saluer le char funèbre. Les bornes, les balcons, les toits, étaient couverts d’une foule frémissante et attendrie. Aux cris de Honneur, honneur à Béranger ! (quelle oraison funèbre !) succédaient de profonds silences ; le respect et l’admiration se montraient et éclataient tour à tour avec une constante unanimité. Le plus beau spectacle, ce fut quand on arriva aux bords du canal Saint-Martin pour le traverser lentement : un peuple entier, si loin que l’œil plongeait, avait envahi l’espace ; les maisons et les rues n’avaient pu le contenir. Les bateaux du canal tremblaient sous le fardeau de cette foule innombrable qui, des deux côtés, s’était rangée en amphithéâtre, et dans laquelle tant de cœurs palpitaient.

On avait paru craindre un grand tumulte[1]. Paris a respecté

  1. Il eût été réellement malheureux que le convoi de Béranger fût le signal d’un désordre, car le poëte avait une grande horreur du tumulte des rues ; il le disait bien haut dans les occasions solennelles, au risque de perdre la popularité, pensant de cette popularité ce que la Fayette disait de la sienne « La popularité est un trésor précieux mais, comme tous les trésors, il faut savoir le dépenser pour le bien de son pays. »

    « Heureusement, la douleur d’une émeute, ou seulement d’un trouble, a pu