Page:Béranger - Ma biographie.djvu/74

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Je regrettai alors bien amèrement d’avoir été arraché à la typographie, que j’ai toujours aimée, mais que je ne me figurais pas connaître assez bien pour y trouver une ressource. J’avais tort : je me suis convaincu trop tard que j’aurais pu devenir en peu de temps un habile ouvrier, ce qui m’eût évité bien des années de dénûment et d’attente vaine[1].

Tandis que mon père, poursuivi par ses créanciers, emprisonné même, n’était ni moins insouciant ni moins léger, j’aurais voulu me cacher au monde entier et me livrais à des accès de mélancolie d’autant plus douloureux, que, fort expansif dans mes plaisirs, je ne l’ai jamais été dans mes peines. La crainte de rencontrer des témoins et des victimes de notre désastre m’égarait en de longues promenades autour de Paris. Saint-Gervais, Romainville[2], Boulogne, Vincennes, que de tranquillisantes rêveries je

  1. « Si cela vous est possible, mon enfant, restez maçon sans rien négliger pour devenir grand poëte. Sachez que, toute ma vie, j’ai regretté d’avoir été forcé par mes parents de quitter la profession d’imprimeur. Cet état eût assuré mon indépendance, et il faut être indépendant pour être poëte. » (Lettre à Charles Poncy.)
  2. Le vallon des Prés-Saint-Gervais et le coteau du bois de Romainville qui ont inspiré à Bernardin de Saint-Pierre de si jolies pages dans ses Études de la nature. Ces délicieuses promenades de nos pères n’existent plus.