Page:Béranger - Ma biographie.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’avenir, mais heureux d’être enfin délivré de tant de mauvaises affaires qui, depuis mon retour à Paris, n’avaient cessé de froisser mes sentiments et mes goûts. Vivre seul, faire des vers tout à mon aise, me parut une félicité. Et puis, ma sagesse en herbe n’était pas de celles qui bannissent toutes les joies : il s’en fallait bien. Peut-être n’ai-je jamais parfaitement connu ce que nos romanciers anciens et nouveaux appellent l’amour[1], car j’ai toujours regardé

  1. Béranger est le chantre de l’amitié ; il a donné à l’amitié, dans ses chansons, quelque chose de la divinité de l’amour. On ne saurait trop mettre en lumière ce caractère du poëte et cette morale de sa poésie. Voici les vers qui résument, à ce point de vue, la doctrine de Béranger :

    Aimer, aimer, c’est être utile à soi ;
    Se faire aimer, c’est être utile aux autres.

    Il est difficile d’exprimer d’une manière plus courte une pensée plus significative. On voit tout de suite que ce n’est pas un frivole rimeur d’élégies qui parle, et qu’il ne met pas toute sa gloire à trouver d’heureux refrains pour ses chansons. Comment se fait-il qu’on vienne se méprendre à de pareils vers et reprocher sa muse efféminée à un écrivain qui, par ce seul distique, proscrit l’égoïsme, même raffiné, de l’amour et élève les grâces du caractère à la dignité d’une vertu civique ? C’est plutôt cette proscription de l’amour tendre et chevaleresque que plusieurs peuvent trouver dure ; mais, dès qu’on raisonne en philosophie, n’est-il pas tout à fait remarquable que Béranger ait placé dans les plus doux plaisirs du cœur le devoir le plus nécessaire ? Une telle manière de comprendre la vie et le rôle de l’individu prédispose Béranger à préférer moralement à un amour dont il connaît les voluptés dangereuses cette tranquille et féconde amitié qui n’a que des plaisirs utiles à nous offrir. Voilà pourquoi Béranger a été