Page:Béranger - Ma biographie.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jolies chansons restées inédites, car il n’a jamais visé sérieusement à se faire une réputation, ce qui eût été facile ; Lebrun[1], homme d’un caractère si pur et

  1. M. Lebrun (Pierre-Antoine) est né à Paris le 29 novembre 1785. Il est membre de l’Académie française depuis 1828. La très-intéressante notice que M. Sainte-Beuve lui a consacrée fait partie des trois volumes de Portraits contemporains. Poëte lauréat, par la volonté même de l’Empereur, il resta fidèle au culte des grands souvenirs d’une histoire dont la pompe et la gloire l’avait surtout frappé. À vingt ans, une ode lui avait valu une réputation. C’était après Austerlitz et avant Iéna.

    Peu de temps après, M. Lebrun connut Béranger et conçut de l’estime pour un talent qui n’était encore qu’agréable. Beaucoup plus en vue alors et bien autrement choyé, quoique plus jeune, M. Lebrun était un maître dans l’art des grands vers, et Béranger n’était presque qu’un amateur dans l’art des chansons. Avec quel doux et modeste sourire M. Lebrun lui-même rappelle ces commencements de leur amitié, qui est devenue plus tard si intime ! La gloire de Béranger s’est levée peu à peu au-dessus de l’horizon et a plané tout d’un coup au-dessus de bien des renommées. M. Lebrun n’en aima que mieux ce vainqueur dont il avait été comme le patron chez Regnaud de Saint-Jean-d’Angély.

    C’est grâce à lui que l’Académie française, en grande séance solennelle, s’est approprié une renommée qu’elle avait si souvent désirée et qu’il ne lui avait pas été donné de consacrer par son choix, tant que le poëte populaire avait vécu.

    Le 28 février 1858, M. Lebrun, directeur de l’Académie française, recevait M. Émile Augier. À la fin de son discours, il a dit, et c’était l’Académie elle-même qui parlait par sa bouche :

    « Entre les pertes récentes des lettres, il y en a une bien grande, qu’il appartient à l’Académie de ressentir avec toute la France, et qui, bien qu’elle semble étrangère à cette compagnie, a droit d’y recevoir un solennel hommage. Je parle de notre cher et illustre Béranger. L’Académie me permettra de marquer ici, comme une des plus irréparables pertes qu’elle pût faire elle-même, celle de ce poëte, homme