Page:Béranger - Ma biographie.djvu/94

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et de fromage, malgré la violence de mon appétit ; mais comment échapper à la levée militaire et à ses exécuteurs ?

Ma frêle constitution, et surtout la faiblesse de ma vue, qui eussent fait de moi un soldat d’hôpital, me plaçaient dans le cas d’exemption certaine. On ne croyait pas, tant j’étais pâle et maigre, que je pusse atteindre trente ans : ma poitrine semblait fort mauvaise, et mon père me répétait sans fin : « Tu n’as pas longtemps à vivre. Je t’enterrerai bientôt. » Nous ne nous en affligions ni l’un ni l’autre. Malheureusement la position que semblait lui donner son cabinet de lecture l’obligeait, si ma réforme n’était pas prononcée, à payer un remplaçant, ce qui lui était réellement impossible.

Ma conscience, bien rassurée sur mon incapacité militaire, je ne trouvai qu’un moyen de sauver à mon père la dépense qui en fût résultée pour lui. Je ne me fis pas inscrire sur les contrôles, ce qui alors était encore possible. Mais je me plaçais ainsi sous le coup d’une arrestation presque inévitable. Cruel tourment ajouté à tant d’autres ! Beaucoup de jeunes gens se découragent à moins. Je tins bon contre l’adversité, et le ciel me vint en aide. Chauve à vingt-trois ans, sans cause appréciable que mes maux de tête, je pus, grâce à l’apparente maturité que donne la calvitie, braver gendarmes et officiers de police,