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Page:Béranger - Ma biographie.djvu/95

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toujours à l’affût des conscrits réfractaires. Il me suffisait de mettre chapeau bas devant eux pour que mon front, qui bien avant trente ans en marquait quarante-cinq, leur ôtât l’idée de me demander mes papiers. J’ai eu longtemps[1] à saluer ces messieurs, car les réfractaires de ma classe ne furent amnistiés qu’au mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Ce qui prouve que les petits ne pâtissent pas toujours des sottises des grands.

Quant à la fortune, elle parut aussi se laisser toucher. J’avais usé trois ans à chercher quelque petit emploi et surtout à rimer, passant de la satire politique aux odes et aux idylles, de la comédie au poëme épique. Pressé par des besoins sans cesse renaissants, un jour je m’avise d’écrire à M. Lucien Bonaparte : c’était au commencement de 1804. J’ai dit ailleurs[2] combien fut heureuse pour moi cette démarche désespérée ; mais j’aime à me rappeler dans quelle misérable situation et sous quel avenir menaçant j’étais placé quand tomba sur moi ce rayon de soleil.

  1. « Vous savez que nous montons la garde à Paris. J’ai tort de dire nous, car je ne sais comment cela se fait, mais je n’ai point encore eu mon tour. Je ne le désire pas : non que je veuille éviter les charges générales, mais parce que je me trouverais exposé à un examen sérieux au sujet de la conscription. Vous pouvez bien penser que, malgré cette réflexion et l’espèce de danger que je cours, je n’en suis pas moins tranquille. » (Lettre du mois d’août 1809.)
  2. Dans la belle Préface du Recueil de 1833.