Page:Béranger - Ma biographie.djvu/99

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Malgré mon peu de foi dans la science de mademoiselle Lenormand, j’éprouve à cette prédiction un

    souvenir de ses amours volages, à la tendre amie que Béranger ne quittait plus au moment où il écrivait ses dernières chansons. Jamais il n’a donné à personne le droit de mettre un nom qu’il vénérait sur les marges de son livre. Mademoiselle Judith, jusqu’à la fin de sa vie, a séduit tous ceux qui l’ont connue par la délicatesse de son esprit et la grâce sévère de son langage. Il arriva un jour où Béranger fut obligé de parler d’elle au public. On avait eu l’étrange idée d’annoncer le mariage de Béranger « avec sa servante. » Béranger n’exprima pas toute son indignation, mais il la fit sentir sous l’ironie de sa réponse.

    Cette lettre porte la date du 5 juin 1848. Béranger y venge Judith. C’est, dit-il, « une amie de ma première jeunesse à qui je dois de la reconnaissance. Plus favorisée que moi par sa position de famille, il y a cinquante ans qu’elle rendait à ma pauvreté bien des petits services d’argent. » Et d’autres services encore dont Béranger ne voulait pas alors entretenir le public. Lorsqu’en 1809, comme nous le verrons, il eut à se charger, dans sa détresse, du jeune Lucien Paron, son fils, Judith adopta cet enfant d’une mère qu’elle ne pouvait aimer, et elle le soigna longtemps comme si c’eût été son propre fils.

    Jamais aucun soupçon ne l’atteignit au milieu des compagnies où elle eut à paraître. Judith a été la constante, l’irréprochable amie de Béranger.

    Mademoiselle Judith-Nicole-Françoise Frère est morte le 8 avril 1857, à Paris, rue de Vendôme, no5, trois mois et huit jours avant Béranger, âgée de soixante-dix-huit ans et demi.

    Inhumée alors dans le cimetière du Père-Lachaise, derrière la chapelle, elle a été récemment placée dans une tombe qui avoisine celle de Béranger.

    Sur la pierre funéraire ont été gravés ces vers qui résument leur commune histoire :

        « Près de la beauté que j’adore
        Je me croyais égal aux dieux