Page:Béranger - Ma biographie.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

commencement de la joie que Judith m’annonce : la pauvreté est superstitieuse. Rentré dans mon taudis, je m’endors en rêvant du facteur. Mais, au réveil, adieu les illusions ! Les bottes percées m’apparaissent et il faut de plus que le petit-fils du tailleur ravaude son vieux pantalon. L’aiguille à la main, je ruminais quelques rimes bien misanthropiques, comme il m’arrivait d’en faire alors, quand ma portière, essoufflée, entre et me remet une lettre d’une écriture inconnue. Rime, aiguille, pantalon, tout m’échappe ; dans mon saisissement je n’ose décacheter la missive. Enfin, je l’ouvre d’une main tremblante : le sénateur Lucien Bonaparte a lu mes vers et il veut me voir ! Que les jeunes poëtes qui sont dans la même position se figurent mon bonheur et le décrivent, s’ils le peuvent. Ce ne fut pas la fortune qui m’apparut d’abord, mais la gloire. Mes yeux

        Mais au bruit de l’airain sonore
        Le Temps apparut à nos yeux.
        Faible comme la tourterelle
        Qui craint la serre des vautours
        « Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
        « Vieillard, épargnez nos amours. »

    — « Levez les yeux vers ce monde invisible
    Où pour toujours nous nous réunissons. »

    La tombe de Judith est à quelques pas sur la gauche de celle de Béranger. Elle deviendra, comme celle du poëte, le but d’un pèlerinage, et, aux jours d’anniversaire, une partie des fleurs d’immortelle qui sont déposées sur la tombe de Béranger seront placées sur celle de sa fidèle amie.

    * Chaulieu avait depuis longtemps chanté une Lisette. M. Sainte-Beuve, dans un de ses articles sur Béranger (1833), a indiqué le rôle tout à fait imaginaire que le personnage de Lisette a joué dans les Mercures de France du dix-huitième siècle et qu’il continua de jouer dans les premières chansons de Béranger.