Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 1.djvu/232

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C’est l’Homme aux mille tours, Muse, qu’il faut me dire, Celui qui tant erra quand, de Troade, il eut pillé la ville sainte, Celui qui visita les cités de tant d’hommes et connut leur esprit, Celui qui, sur les mers, passa par tant d’angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens. Hélas ! même à ce prix, tout son désir ne put sauver son équipage : ils ne durent la mort qu’à leur propre sottise, ces fous qui, du Soleil, avaient mangé les bœufs ; c’est lui, le fils d’En Haut, qui raya de leur vie la journée du retour.

Viens, ô fille de Zeus, nous dire, à nous aussi, quelqu’un de ces exploits.

En ces premiers vers d’un long drame, l’auteur semble ne pas éprouver le besoin de nommer dès l’abord son héros : « l’Homme aux mille tours » suffit ; il est inutile de prononcer le nom d’Ulysse, qui n’apparaîtra qu’au vingt et unième vers. L’auditoire connaît « l’Avisé », comme les gens du Moyen-Age connaissent la Vierge, le Malin ou le Précurseur, comme les spectateurs de la comédie italienne connaissent le Jaloux ou le Balafré. Notre poète ne fait qu’entreprendre, lui aussi, le récit de quelques aventures, dont la Muse avait parlé à d’autres avant lui : un mot qui se trouve ici et ne se rencontre nulle part ailleurs dans les Poésies homériques, signifie, disent les Anciens, « en commençant par où tu voudras » ; dans le cycle de la « geste » que la tradition attribue au héros, le