Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 1.djvu/58

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vous livrer un enfant que j’élève au logis ; il trotte sur mes pas quand je sors dans la rue ; il est de bonne vente ; si je l’amène à bord, on vous en donnera et des cents et des mille, où que vous le vendiez chez les gens d’autre langue.

« Elle dit et revint au manoir de mon père », poursuit Eumée :

Mais l’année s’acheva : ils restaient toujours là, faisant leur plein de vivres. Enfin, la cale pleine, ils étaient pour partir. Un messager s’en vint avertir notre femme. C’était un fin matois qui, pour entrer chez nous, tenait un collier d’or, enfilé de gros ambres. Tandis qu’en la grand’salle, ma mère vénérée et ses femmes prenaient et palpaient le collier, et le mangeaient des yeux, et débattaient le prix, l’homme, sans dire un mot, fit un signe à la fille et, d’accord, regagna le creux de son vaisseau. Elle aussitôt me prend par la main et m’entraîne. À la porte, dans l’avant-pièce, elle aperçoit les coupes et corbeilles du repas que mon père avait offert à ses collègues ce jour-là ; ils venaient de partir au conseil discuter les affaires du peuple. En passant, elle vole et cache dans son sein trois coupes ; je la suis, pauvre fou que j’étais !

Le soleil se couchait, et c’était l’heure où l’ombre emplit toutes les rues. Nous arrivons, courants, au mouillage connu : nos gens de Phénicie et leur vaisseau rapide étaient bien à leur poste. Ils nous prennent à bord, embarquent et se lancent sur la route des ondes…

C’était là aventure quotidienne dans notre Méditerranée « franque » des xvii-xviiie siècles :