Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/111

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parole[1]… Par vingt exemples, on montrerait cette différence essentielle entre l’Énéide, « page d’écriture », s’adressant à l’esprit et aux yeux d’un lecteur, et les Poésies homériques, « œuvre de scène », s’adressant aux oreilles d’un auditoire.

Ces formules d’annonce et de conclusion semblent remonter à une lointaine tradition préhomérique : elles sont chargées parfois de mots archaïques, dont l’exacte signification échappait déjà aux lettrés de l’antiquité clas-

  1. L’exemple le plus typique serait fourni par le chant VII de l’Énéide (vers 116 et suivants) :

    « Heus ! etiam mensas consumimus ! » inquit Iulus,
    nec plura alludens. Ea vox audita laborum
    prima tulit finem primamque loquentis ab ore
    eripuit pater ac stupefactus numine pressit.
    Continuo : « Salve, fatis mihi debita tellus,
    vosque, ait, o fidi Trojæ, salvete, Penates !…»

    Pense-t-on qu’un auditoire, — sinon de lettrés, — pourrait se reconnaître en ces continuo, ait..., et comprendre à la volée que pater, c’est Énée ?… Au vers 68 du même chant, le lecteur même le plus lettré serait dans l’embarras :

    Continuo vates : « Externum cernimus, inquit,
    adventare virum… »

    Quel est ce vates et que vient-il faire ici ? Le mot se rencontrait déjà vingt-sept vers plus haut, mais désignait à n’en pas douter le poète, Virgile lui-même :

    Tu, vatem, tu, diva, mone : dicam horrida bella,
    dicam acies, actosque animis in funera reges.