Page:Bérard - La résurrection d’Homère, 1930, 2.djvu/293

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et nourrissons de Zeus »... Mais à quelle date précise de cet Ancien Régime ? et dans quelle cité de cette Asie royale ?

Strabon et Pausanias nous donnent de courts renseignements sur les dynasties ioniennes : Milet, fondée par Néleus le Pylien, montrait dans son Posidion l’autel bâti par lui ; mais la vieille Milet avait été fondée par un Sarpédon, venu de la Milet crétoise ; Lébédos se réclamait d’Andropompos, et Colophon, d’Andrémon, Pyliens tous deux ; Priène, du Néléide Æpytos, etc. ; Chios, enfin, de Nélée d’Athènes.

Chios revendiquait Homère ; son meilleur titre était la présence dans l’île d’une famille d’Homérides : descendants du Poète, héritiers naturels et propriétaires légitimes des Poésies qu’ils faisaient métier de chanter, ils devinrent ensuite une corporation de rhapsodes, — les successeurs intellectuels du Poète, mais non plus ses descendants[1].

  1. La continuelle uniformité du texte homérique dans tous nos manuscrits, l’absence complète de variantes, qui le distingue si fort de nos Chansons de Geste, obligent à admettre l’influence prolongée d’une seule et unique confrérie d’Homérides, qui, durant des générations, se le transmirent. Parmi ces Homérides, les Anciens attribuaient à Kynæthos de Chios une influence primordiale sur le sort des Poésies : c’était à lui et à ses gens que l’on rapportait l’introduction dans l’épos de nombreux apports ou changements. Kynæthos, le premier, exerça à Syracuse le métier de rhapsode homérique. C’est d’un chroniqueur de Sicile, d’Hippostrate le Syracusain, que vient le renseignement. Mais le texte actuel ajoute pour ce fait la date de la 69e Olympiade. Ce serait vers l’an 504 avant notre ère seulement que Syracuse, fondée en 733, aurait connu les rhapsodes. Tous les homérisants sont d’accord pour voir en ces mots une faute de texte : le premier historien et commentateur d’Homère fut un Italiote, Théagène de Rhégion, qui vivait au temps de Cambyse, lequel régna de 529 à 522 ; Théagène de Rhégion aurait commenté Homère une génération avant qu’on jouât l’épos à Syracuse ! La correction la plus vraisemblable est celle de Duentzer. C’est dans la 29e et non pas la 69e Olympiade, vers 660 avant notre ère, que les Homérides de Chios, dans la personne de Kynæthos, seraient venus « rhapsodiser » en Sicile… Nous comprendrions alors pourquoi furent interpolées dans notre Odyssée tant d’allusions à cette Nouvelle Hellade de l’Occident. En fin de compte, c’est aux Homérides de Chios, — peut-être à Kynæthos lui-même, — que je rapporterais le plus volontiers la « synthèse » de notre Odyssée.