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Dans ces différents passages des Conjectures, il est un mot qui surprend le lecteur d’aujourd’hui : c’est « chants tragiques, c’est à dire héroïques ». Aux chants primitifs dont fut composée l’Iliade, pourquoi d’Aubignac donnait-il le nom de cantiques, hymnes ou vieilles tragédies ?

Auteur de nombreuses Remarques et Dissertations sur les pièces de son temps et d’un livre renommé sur la Pratique du Théâtre, d’Aubignac connaissait à fond Aristote et les théories des Anciens sur la tragédie[1]. Il voyait l’intime parenté qu’Aristote établit entre l’épopée et la tragédie. Il pensait que celle-ci était née de celle-là. L’idée peut nous sembler une erreur aujourd’hui. Elle sera peut-être la vérité de demain. C’est de ce côté, je crois, que les « néo-unitaires » trouveront une nouvelle solution du problème homérique. C’est là que les conduisent les dernières découvertes dans le domaine des littératures comparées. Il suffirait de changer quelques termes et de mettre un peu plus de rigueur chronologique dans les « conjectures » (nous disons aujourd’hui : hypothèses) de d’Aubignac pour retrouver sous sa plume quelques-unes de nos dernières théories sur l’origine et l’évolution de l’épopée, telles qu’on les trouve formulées dans l’Épopée castillane de M. Menendez Pidal ou dans the heroic Age de M. H. M. Chadwick[2].

  1. Cf. Baillet, Jugemens des Savants, p. 304 : M. Rosteau nous apprend que l’abbé d’Aubignac étoit homme de grande étude et de bel esprit et que la Pratique du Théâtre est un de ses meilleurs ouvrages. Il prétend même que personne ne peut se vanter d’avoir rien fait d’égal en ce genre, qu’il connaissoit parfaitement le génie de la poésie en général et particulièrement celui de la comédie grecque, romaine, italienne, espagnole et française ; en quoi ce critique paroît avoir donné quelque chose à l’amitié qu’il avoit pour cet auteur.
  2. The heroic Age est la titre du beau livre publié en 1912, dans la Cambridge Archaeological and Ethnological Series, par H. Munro Chadwick. Ce manuel commode et clair est le guide le plus utile pour étudier la civilisation et la littérature épiques dans notre monde occidental ; mais, ayant exposé les origines des épopées anglo-saxonne, celtique, scandinave, germanique, russe, yougo-slave, etc., l’auteur semble avoir oublié que la France et l’Espagne ont eu leur âge héroïque et que la Chanson de Roland et la Chanson de Mon Cid sont, elles aussi, des types de cette « poetry commonly known as heroic, which makes its appearance in various nations and in various periods of history. » Il faut donc chercher le complément de ce livre dans L’Épopée castillane de R. Menendez Pidal (traduction française, Paris, A. Colin, 1910) et dans les Légendes épiques de J. Bédier (Paris, A. Champion, 4 volumes, 1910-1913).