Aller au contenu

Page:Bérenger - La France intellectuelle, 1899.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LA FRANCE INTELLECTUELLE

arrachées à la France et annexées au nouvel Empire bâti sur le sang et la force.

Au premier rang des Alsaciens qui non seulement voulurent rester Français, mais encore protestèrent de toute leur âme contre l’annexion, Édouard Schuré s’affirma. Il publia sur l'Alsace et les Prétentions prussiennes une brochure qu’on devrait bien réimprimer, car elle est un des plaidoyers les plus lumineux qui aient été écrits sur ce grand problème international. Schuré y montrait avec éloquence les origines doublement dynastiques de la guerre, la perfidie et l’iniquité prussiennes, le droit imprescriptible pour les Alsaciens de rester Français. Et il concluait par cette belle page, trop oubliée, que nous nous plaisons à citer aujourd’hui :

L’exemple de la Vénétie prouve ce que peut la force morale d’un peuple contre la force matérielle la plus écrasante. Il faut savoir être une Vénétie, ou nous sommes perdus. Pendant près d’un demi-siècle l’Autriche occupa militairement cette province : mais par sa pensée Venise n’a jamais cessé d’appartenir à l’Italie ; par la force des choses, elle lui est revenue. C’est ainsi que nos yeux seront toujours tournés vers la France ! — Ô France aimée, noble et malheureuse nation, nous ne t’oublierons pas sous la crosse de l’étranger ! Dans tes malheurs sans nom, tu ne perdras pas ce que tes ennemis ne peuvent te pardonner : le charme, la générosité, le courage, la vraie fierté, l’amour des grandes causes et le culte de l’humanité. Nous savons ce qu’il y a de fermeté, de dévouement, de profond enthousiasme dans le vieux sang celtique de Bretagne, de mâle énergie dans la race des Cévennes et de l’Auvergne, de flamme et d’élan dans les enfants du Midi : nous voyons ce que Paris montre d’héroïsme antique et la France entière de résolution. Voilà nos frères, qui en cette heure luttent pour nous et avec nous. Et puis, nous le savons, ô France, tu te relèveras un jour, tu te relèveras, — et nous te retrouverons ! Rien ne peut nous séparer de toi, car tu es l’Enthousiasme, tu veux la Justice et la Liberté ; ces dieux-là finiront par vaincre les autres. Comme toi, nous y croyons, et cette religion nous unit pour des siècles.