Page:Béroul - Le Roman de Tristan, par Ernest Muret, 1922.djvu/12

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vivants j’exprime ici ma vive gratitude, aux maîtres que nous avons perdus et que nous regrettons je rends un hommage reconnaissant et respectueux.

Composition du poème. — Parmi les plus anciens récits des célèbres amours de Tristan et d’Iseut on reconnaît aisément deux versions principales, celle du trouveur anglo-normand Thomas et la version commune, la plus répandue en France, en Allemagne et dans l’Europe méridionale. Cette version est représentée en première ligne par le poème allemand d’Eilhart d’Oberg, traduit ou imité du français vers la fin du XIIe siècle. Le fameux roman français en prose, qu’on a lu jusqu’au XVIe, s’y rattache par sa teneur générale et ses parties les plus anciennes. Une portion considérable de notre fragment (vers 2-2754), dans laquelle l’auteur s’est nommé à deux reprises Béroul, au nominatif Berox (vers 1268 et 1790), offre presque constamment une étroite ressemblance avec la narration d’Eilhart, tandis que la suite se compose de récits divergents et en grande partie originaux. Les allusions de la première partie au début perdu du poème s’accordent très bien avec la version commune ; en revanche, certains traits de la seconde rappellent vivement la version de Thomas. Directement ou par des intermédiaires, les poèmes de Thomas et d’Eilhart, le roman en prose et la première partie du nôtre dérivent sans doute d’un poème perdu, composé vers le milieu du XIIe siècle. De tous les anciens romans relatifs à Tristan, celui du manuscrit 2171 est le plus incohérent, le plus fruste d’aspect, le plus archaïque de style. Il paraît être le plus proche de l’original et doit nous en avoir transmis des vers presque intacts, en maint passage où l’on dirait qu’Eilhart traduit le poète français, quoiqu’il ne l’ait certainement pas connu.

L’incohérence qui règne dans notre fragment est si sensible qu’un éminent disciple de Lachmann, Richard Heinzel, n’hésitait pas à y reconnaître une compilation de morceaux provenant d’une vingtaine de petits poèmes originairement indépendants. La plupart des critiques plus récents se sont ralliés, au moins pour un temps et avec plus ou moins de réserve, à l’hypothèse de deux auteurs : Béroul et un interpolateur ou continuateur anonyme, dont l’œuvre commence-