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préface.

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Nathan le Sage aiguillonnaient les esprits et promettaient un grand siècle littéraire.

’ Huitième période (1767-1832). -La littérature allemande n’avait pas réalisé toutes les promesses de Klepstock et de Lessiug. Une interruption s’éta.it faite dans le mouvement des esprits. Tandis que Klopstock, établi a Copenhague, élevait, avec une majestueuse lenteur, son monument de la Messiade, tandis que Lessing, enfermé dans la bibliothèque de Wolfenbûttel, y fouillait avec ardeur des manuscrits oubliés, Wieland (1733-1813) s’emparait comme par surprise du sceptre de la littérature courante. Associé d’abord à la rénovation intellectuelle de son temps, il avait fini par en répudier les principes ; avec lui reparaissaient la poésie de cour et l’imitation servile de la France. Légèreté factice, élégance menteuse, l’imagination germanique façonnée au ton de la monarchie de Louis XV, une espèce de voltairianisme poétique que ne rachète pas, comme chez le défenseur de Calas le sentiment’du droit et de l’humanité, voilà ’n est alors ne Herder se lève (1744 ’

l’œuvre’de Wiela d. C’q-1803).

Disciple du profond Hamann, il détruit le prestige des siècles raffinés, et réveille le goût des littératures primitives. Personne n’a eu comme lui l’ii1stinct des premiers ages du monde, l’amour et l’intelligence des premières inspirations de chaque peuple. Une magnifique source de poésie s’épanche dans tous les livres du grand critique. C’est un promoteur comme Lessing ; moins net et moins précis que son puissant émule, il agit davantage sur l’imagination. Déja éveillé a un monde nouveau par la lecture du Laocoon, Gœthe (1749-1832š s’ignorait encore, lorsque Herder, l’ayant rencontré à Strasbourg, lui révéla tout son génie. Les premières œuvres de Gœthe, Gœtz de Berlichingen (1772), les Souffrances du jeune Werther (1773), etc., expriment admirablement l’ardeur fougueuse que les prédications de Herder avaient éveillée dans l’àme du jeune poëte. Ces années d’enthousiasme où le génie germanique se fraye impétueusement des voies nouvelles sont appelées par les historiens littéraires la période de Passant et de l’irru/ptibn (sturm-und drangperwde). Ce nom même, ce titre bizarre, déclamatoire, parfaitement dans le ton du moment, est emprunté à un drame dont l’auteur, Maximilien Klinger, émule de ’Gœthe à ses débuts et prédécesseur de Schiller, représente d’une façon presque farouche l’esprit désordonné de cette époque. Cette exaltation se propage d*un bout de l’A1lemagne å l’autre ; elle éclate surtout à Gœttingue, chez ces jeunes rêveurs, Hoelty, Voss, Burger, Hahn, Miller, Stolberg, qui se réunissent au fond d*une forêt pour prêter serment à la poésie, révèrent Klopstock å l’égal d’un pontife suprême, brûlent les œuvres de Wieland, se jettent enfin dans le domaine de l’art comme des factieux dans une conjuration. Les premiers drames de Schiller, les Brigands (1782), la Conjuration de lftesque (1784), Intrigue et Amour (1784), sont l’explosion dernière et le couronnement de cette tumultueuse période.

Une inspiration plus calme succède à ces poétiques fureurs. Gœthe a vu le pays où les cítronniefs fleurissent (1786), et il est devenu amoureux de l’antique beauté. Toutes les œuvres qu’il rapporte d’Italie sont aussi pures, aussi majestueuses de forme et de pensée que les productions de sa jeunesse étaient ardentes. Qui sait même si cette recherche d’une sérénité idéale n’a pas éteint chez lui le feu de l’imagination ? Qui sait si le statuaire n’aura pas nui au poëte ? Egmont a gardé quelque chose de la jeune inspiration de l’auteur de Gœtz ; mais quelle absence de vie dans ces compositions si savantes, si profondes, Iphígénie (1787) et Torquato T asso (1790) ! Heureusement Gœthe a trouvé un ami qui va lui ouvrir les plus riches domaines de l’art. Schiller et Gœthe étaient admirablement faits pour se rectifier et se compléter l’un l’autre. Uenthousiasme de Schiller pouvait l’entraîner à. l’emphase ; la sérénité olympienne de Gœthe devait aboutir à la sécheresse. Gœthe apprend de Schiller l’union de l’idéal et du réel, de l’enthousiasme et de la réflexion, et, à son tour, ramenant l’inspiration de son ami à la mesure du beau, soumettant sa passion et sa fougue aux lois de l’harmonie éternelle, il s’élève avec lui vers la perfection de l’art. Rien de plus grand que ce spectacle.›Il y à la une douzaine d’années où le génie germanique, après tant d’efforts, tant de préparations laborieuses, apparait enfin dans son splendide épanouissement. De 1794 a 1805, l’amitié de Gœthe et de Schiller oiïre a l’Allemagne un exemple plus glorieux et plus fécond encore que les chefs-d’œuvre qu’elle produit. Quelle généreuse communauté d’études quel dévouement à l’art, å la poésie, å la culture de l’humanité par le beau ! C’est l’époque où Gœthe écrit ses lus belles poésies, les Epígrammes vénitiennes, le Roi Ja Thulé, le Hot des aunes (1795), le Trouvère, Alexis et Dora (1796), le Nouveau Paustas (1797) ; c’est l’époque où il accomplit avec un religieux amour cette œuvre d’un ordre tout nouveau, cette œuvre si noble et si simple, le modèle de l’épopée familière, Hermann et Dorothée (1797). Enfin, son drame de Faust, ce poétique et hardi symbole de la destinée humaine, s’il en a tracé la première ébauche à l’époque où il écrivait Gœtz et lVerther, c’est maintenant qu*il l’achève sous les yeux de son ami. Schiller, soutenu par Gœthe, s’élève de son côté a des hauteurs nouvelles. Le plus beau de ses poèmes, la Cloche (1797), les plus parfaites de ses compositions dramatiques, Wallenstein (1799), Marie Stuart (1800), la Pucelle d’Orléans (1801), la Fiancée de Messine (1803), Guillaume Tell (1805), appartiennent à cette période. Les deux poëtes, dans une correspondance complètement publiée aujourd’hui, s’encouragent l’un l’autre, se communiquent leurs inspirations, et, sans jalousie secrète, sans camaraderie bruyante, consacrés tout entiers au culte de l’idéal, donnent a l’Allemagne et au monde le plus magnifique exemple du sacerdoce de Part. La mort même de Schiller (1805) n’interrompt pas cette communion de deux grandes ames : dans la dernière phase de la carrière de Gœthe, pendant ces 27 années (1805-1832) où son génie, pour ainsi dire, prend possession du monde entier, au milieu des études si variées qu’embrasse son éclectisme universel, on retrouve sans cesse le souvenir et Pinspiration de son ami.

Ces deux noms suffiraient à la gloire d’un siècle ; et que de noms encore, que de noms et d’œuvres il faut citer dans cette période ! Ici, c’est le groupe des humoristes : Thümmel, l-lippel, Claudius, Musœus, et surtout le profond, le poétique Jean-Paul, qui a jeté pèle-melo tant de lumineux trésors à travers les obscurités de son langage. Là, ce sont les critiques et les poëtes de l’école romantique, Frédéric et Guillaume de Schlegel, Novalis, Louis Tieck, Wackenroder, Achim d’Arnim, Clément de Brentano, Schulze, Frédéric Müller, et Lamotte-Fouqué. Tandis que d’a.rdents esprits, Zacharias Werner, Grillparzer, et surtout Henri de Kleist, essayent de recueillir a la scène l’héritage de Schiller, admirez ces deux légions de poëtes, d’un côté les chautres belliqueux du patriotisme de 1813, Théodore Kœrner, Max Schenkendorf, Auguste de Stœgemann, Maurice Arndt ; de l’autre, les mélodieux rêveurs de la Souabe, Pierre Hebel, Louis Uhland, Frédéric Rückert, Justinus Kerner, Hœlderlin et Gustave Schwab. N’oublions pas les voyageurs et publicistes libéraux George Forster et Gottfried Seume, le grand historien Jean de Müller, Pingénieux satirique Lichtenherg, le moraliste Jacobi, l’éloquent théosophe Jean-Gaspard Lavater, le brillant biographe Varnhagen d’Ense, qui a retracé dans ses mémoires l’histoire sociale et littéraire de cette période, enfin Alexandre de Humboldt, qui en a représenté de nos jours toute la gloire dans l’universalité de son génie.

Il faut enfin réserver une place à part aux maîtres de la philosophie. Sans parler de tant d’autres penseurs qui seraient les premiers chez d’autres peuples et qui ne brillent ici qu’au second rang, Kant (1724-1804), Fichte (1762-1814), Schelling (17 ’15-1854), Hegel (1770-1831). ont étonné le monde par la grandeur et l’originalité de leurs systèmes, au moment même où Herder, Jean-Paul, Schiller et Gœthe cou sacraient l’imagination allemande par d’immortels chefs-d’œuvre. Où trouver ailleurs une telle fécondité philosophique au milieu d’un si riche épanouissement de la poésie ? Quelque jugement que l’on porte, au nom de la science des idées, sur ces constructions audacieuses, il est impossible de méconnaître l’action immense qu’elles ont exercée sur les esprits et les lettres. Le stoïcisme de Kant, l’élévation et Paustérité de sa morale, sont visibles, pour ainsi dire, dans le génie de Schiller. L’enthousiasme de Fichte pour la liberté morale n’éclate-t-il pas dans l’héroïque génération de 18137 Lorsque Schelling, dans le premier essor de son inspiration, illumine le monde entier de clartés merveilleuses, les poëtes, comme les naturalistes, répondent a son appel ; les fantaisies brillantes de l’école romantique sont un essai de réaction contre la sévérité de Gœthe et de Schiller, de même que la philosophie de la nature est un essai de réaction contre le stoîciame de Fichte et de son illustre maître. Enfin Hegel, avec son panthéisme gigantesque, avec ses puissantes formules qui prétendent embrasser le monde de la matière aussi bien que le monde