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deux derniers indiquent les deux tendances opposées de la littérature romanesque : Samuel Greifenson est l’auteur d’un roman populaire intitulé Simplicissimus, vive peinture du monde réel, dramatique tableau des désordres de l’Allemagne pendant la guerre de Trente Ans ; le duc Antoine-Ulrich de Brunswick a écrit, à l’imitation de M“° de Scudéry, des histoires orientales et romaines, Aramène, Octaoie, qui étaient comme le manuel de la société élégante du xvn° siècle. Les historiens froids et -médiocres ne doivent être mentionnés que pour mémoire : nommons donc Wilhelm Zincgref, Siegmund de Birken, Jacques Maskou et Henri de Bunau. Une place a part est due au savant voyageur Adam Oléarius, qui a raconté dans une langue claire et simple son voyage à Moscou et à Ispahan. Nous n’omettrons pas dans cette liste les noms les plus intéressants qu’elle nous présente, l’humoriste Valentin Andreœ, le théosophe Jacob Bœhme, les conteurs satiriques Michel Moscheroch et Abraham a Sancta-Clara, les philosophes Thomasius et Wolf, et surtout le promoteur d’une régénération pieuse au sein de l’Église protestante, le tendre et dévoué Jacques Speuer. Voila bien des noms, et quelques-uns d’entre eux ne sont pas sans gloire ; que manquait-il donc à cette littérature du xvn° siècle ? Une inspiration commune, et une inspiration allemande. Tous ces hommes semblent isolés les uns des autres ; aucune force, aucune pensée générale ne les soutient ; je ne sais quoi de morue et de languissant domine dans leurs écrits. L’Allemagne se souvient elle encore de son histoire ? Sait-elle ce qu’elle a été au xui° siècle ? Se rappelle-t-elle l’énergique mouvement d’idécs qui précède et accompagne la Piéformation ? Non ; elle s’est perdue elle-même. La première école silésienne imite la France de Louis XIII et la littérature hollandaise ; la seconde école silésienne s’attache aux modèles trompeurs de l’Italie dégénérée. Si un génie du premier ordre surgit au milieu de cet affaissement de tout un peuple, ne voyant rien de vivant autour de lui, il écrira pour l’Europe dans une langue qui n’est pas la sienne : il n’y a pas de place pour Leibniz dans l’histoire littéraire de l’Allemagne ; n’est-ce pas là. une terrible accusation contre le xvu° siècle germanique ? Il est bien temps qu’une réaction éclate, et que le pays de Wolfram d’Eschenbach, de Walther de Vogelweide, d’Ulrich de Hutten, de Hans Sachs, de Luther, d’Albert Dürer, retrouve enfin ses traditions et son génie ; ce sera l’œuvre du siècle de Lessing. ’ ’

Septième période (1730-1767). - Cette réaction ne se fera pas tout a coup. Les hommes qui attaquaient l’école silésienne, Christian Wernicke par exemple, auront d’abord des continuateurs plus ardents, qui donneront en même temps le précepte et l’exemple. Voici le noble Haller, le chantre des Alpes (1708-1777), à la fois botaniste, anatomiste, historien, théologien, poëte, u le plus savant homme de l’Europe et le premier poëte allemand a qui les étrangers aient rendu justice », écrivait Grimm en 1778, dans une lettre où il associe au deuil de Voltaire et de Rousseau le deuil de Haller, de Linné, disparus presque tous ensemble en l’espace de quelques mois. Voici le joyeux Frédéric de Hagedorn (1708-1754), poëte de cour comme le baron de Canitz, chantre de la vie mondaine, mais joignant toujours le naturel à l’élégance ; voici le grave Gottsched (1700-1766), froid écrivain, poëte sans imagination, et toutefois réformateur littéraire très-digne d’estime, puisque, le premier, il prit à cœur de rallier les forces dispersées de son pays, et de constituer en face de la France, de l’ItaIie et de l’Angleterre, une grande littérature allemande. Ni la gravité de Haller, ni la vivacité charmante de Hagedorn, ne pouvaient suffire aux besoins nouveaux des esprits. Gottsched avait éveillé un idéal qu’il était lui-même impuissant a satisfaire : son inspiration première était bonne ; son plan de campagne ne valait rien. Pour relever l*Allemagne et lui rendre sa place, il fallait ouvrir à son génie des voies originales, et non pas Penchainer, comme Gottsched, à l’imitation des classiques français. Ajoutons que l’honnête Gottsched comprenait bien peu nos grands écrivains, et que son Boileau, par exemple, n’était qu’un Boileau de convention. Si la dictature de Gottsched se fût établie en Allemagne, le progrès dont il avait l’idée, et qu’il s’efforçait d’accomplir, eût été arrêté pour longtemps. C’est ce que sentirent bien des réformateurs plus hurdis, Bodmer, Klopstock, Lessing, et une période nouvelle commença.

Le premier signal vint de la Suisse. Bodmer (1698-1783), poëte médiocre comme Gottsched, mais critique supérieur, adresse de véhéments appels au génie germanique, réveille le sentiment national, oppose la poésie du nord à la poésie des races latines, et, cherchant à la fois le naturel et la grandeur, enthousiasme les esprits pour les hardiesses de Milton, en même temps qu’il met en lumière les grâces naives des Minnesinger. Dès lors il y a deux camps dans la littérature allemande : d’un côté, Gottsched et ses amis, sa femme d’abord, Louise Gottsched, qui traduit Pope et travaille pour le théâtre d’après les modèles de la France, puis le baron de Schonaich, Joachim Schwabe, etc. ; de l’autre, Bodmer, son compagnon’d’armes Breitinger, et toute la jeunesse qui déjà frémit à leurs accents. On voit bien se former des écoles intermédiaires : Liscov, Gellert, Lichtwer, Zachariœ, Ebert, les trois frères Schlegel (Jean-Élie, Adolphe et Henri), bien d’autres encore, soit dans la poésie lyrique, soit au théâtre, essayent de se maintenir a distance égale des deux écoles ; mais leurs elïorts mêmes attestent le progrès toujours croissant de l’esprit nouveau. La plupart de ces hommes avaient été, à leurs débuts, les partisans dévoués de Gottsched, et ce sont eux qui vont fonder un journal littéraire indépendant, le Recueil de Brême, où paraîtront, en 1748, les trois premiers chants de la Messiade.-La

Messiade ! Bodmer a. trouvé son poëte ; il le proclame, il lui prodigue les encouragements et les hommages, il le fait venir en Suisse auprès de lui, et Klopstock, à. peine âgé de 24 ans, est traité par le réformateur comme le pontife de la poésie. C’est un sacerdoce, en eiïet, que la carrière de Klopstock (1724-1803). Grave, austère, identifié, pour ainsi dire, avec son œuvre, il élève toutes les imaginations vers les hauteurs que sa pensée habite ; il ranime le goût des grandes choses. Les inspirations de la vieille Germanie se réveillent à sa voix. Toutes ces vertus si allemandes, enthousiasme, ferveur religieuse, tendresse, virilité, loyauté, il les chante non seulement dans son épopée du Christ, mais dans ses odes et dans ses drames. Il glorifie Hermann et la Germanie des premiers ages, comme il glorifie le Messie et les premiers jours de l’Évangile. Le christianisme primitif et la primitive Allemagne, voila les objets de son culte. On peut dire de toute la vie de Klopstocl : ce que M" de Staél a dit seulement de la Messiade : u Lorsqu’on commence ce poëme, on croit entrer dans une grande église au milieu de laquelle un orgue se fait entendre. n Quelle différence entre Klopstock et Lessing ! Rien n’atteste mieux la fécondité de l’esprit allemand au xvm° siècle. Voila deux hommes absolument opposés, et tous les deux cependant sont les chefs d’un même mouvement de régénération pour leur pays. Ils se complètent l’un l’autre. Tandis que Klopstock élève les cœurs, purifie les imaginations, Lessing (1729-1781) aiguise et fortifie les intelligences ; rien de plus précis que sa pensée, rien de plus net que son style. Poète, philosophe, érudit, journaliste, novateur plein d’idées, écrivain de premier ordre dans la polémique, il renouvelle tout ce qu’il touche, Pérudition et la critique, la théologie et le théâtre. Nul homme n’a plus vivement agi sur l’Allemagne. C’est le grand promoteur de l’esprit public au xvm° siècle. Soit qu’il encourage ses lecteurs, soit qu’il les provoque à la lutte, il suscite les talents qui s’ignorent eux-mêmes. Herder, dans sa première période, ne prendra la plume que pour refaire ou compléter les manifestes philosophiques de Lessing ; Goethe deviendra poëte en lisant le aoccon..

D’autres écrivains brillaient aussi vers cette époque : Gleim, qui glorifia les victoires de Frédéric II pendant la guerre de Sept Ans ; Christian-Ewald Kleist, poëte et soldat, ’qui chanta la nature printanière et mourut héro !quement à la journée de Kunersdorf (1759) ; Aamler, Sulzer, Willamow, Michaelis, Nicolai, etc... Une histoire détaillée de la littérature allemande doit tenir compte de tous ces noms ; dans un tableau général, où les personnages secondaires doivent s’efl’acer, on peut se borner a mettre en relief les grandes figures de Klopstock et de Lessing. Ce dernier surtout résume d’une façon admirable toute l’activité de l’esprit allemand vers le milieu du xvul’siècle. Cette ardeur d’esprit qui se manifeste en Prusse sous l’influence de la guerre de Sept Ans, cette littérature virile qui, même en des sujets d’érudition, déploya tout a coup une verve si belliqueuse, c’est Lessing qui la conduit au combat, c’est lui qui la représente dans l’histoire. Miss Sara Sampson, Minna. de Barnhelm, le Laocoon, les Lettres sur la nouvelle littérature, la Dramaturgie de Hambourg. sans parler de ces milliers de feuilles légères, modèles de netteté, de science et de hardiesse, toutes ces œuvres du futur auteur de