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préface.

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le nombre des voyelles accentuées. Toute voyelle qui recevait l’accent tonique était considérée comme longue, bien qu’elle n’eût pas en réalité une durée plus longue que les autres ; elle ne se distinguait des brèves que par l’élévation de la voix. Toute syllabe qui n’avait pas l’accent était regardée comme brève. Le Minnesinger, dit J. Grimm, se bornait à déterminer le nombre des arsis (V. ce mot) qu’il voúlait donner à son vers, et s’inquiétait peu du nombre des syllabes faibles ; mais comme il se gardait également de mettre dans les thesis (V. ce mot) des syllabes accentuées, il s’ensuivait que le vers était tantôt îambique ou trochaïque, tantôt dactylique ou anapestique. Dans les strophes des Niebelungen, chaque vers compte six arsis. L’emploi des rimes plates, et la césure féminine qui divise le vers en deux hémistiches, lui donnent une grande analogie avec le vers alexandrin, surtout dans les poëtes souabes. La rime des anciens proverbes et des vieilles maximes se trouve quelquefois au commencement du vers ; elle porte alors le *nom de rime initiale.

Quand le haut allemand fut devenu la langue littéraire de l’Allemagne, Opitz, Klopstock et ses successeurs, régularisèrent la métrique, qui repose aujourd’hui sur des principes assez précis ; mais il est difficile de la ramener à des règles invariables, parce que l’accent d’une même syllabe peut changer suivant l’importance que le poëte attache au mot. Cependant, grâce å la métrique nouvelle, certaines syllabes qui étaient brèves sont devenues douteuses, et peuvent être employées comme longues ; cette innovation a permis à la versification allemanded’employer le spondée, pied qui lui manquait totalement. Gœthe, Schiller, Rückert et Platen ont prouvé combien l’idiome allemand est susceptible de produire d’heureux effets d’ha.rmonie entre les mains de poëtes habiles.

Les Allemands se sont exercés dans tous les genres de vers imaginables ; ils ont imite les mètres si variés des poëtes grecs et latins. Klopstock dans la Messiade, Gœthe dans Beinecke Fuchs et dans Hermann et Dorothée, Voss dans son poëme de Louise et dans ses traductions d’Homère et de Virgile, ont employé Phexamètre avec plus ou moins de bonheur. Mais ce vers n’a pas eu grand succès chez les écrivains plus récents, qui le remplacent généralement par l’ancienne strophe des Niebelungen, par le vers alexandrin, et par la stance empruntée aux Italiens. Dans les quelques drames écrits en vers avant 1779, les poëtes avaient employé Palexandrin ou des vers irréguliers ; Lessing fut le premier qui, par principe et peut-être aussi par antipathie pour les créations françaises, se servit, dans sa tragédie de Nathan, du vers iambique de cinq pieds sans rime ; et depuis cette époque, les meilleurs poëtes dramatiques, tels que Gœthe, Schiller, Raupach, ont suivi son exemple. Mullner, Werner et quelques autres ont employé le vers trochaïque de quatre pieds, rimé ou non rimé. Dans leurs comédies, Kœrner, Contessa, Müllner se sont servis avec succès de Palexandrin. Les poëtes lyriques ont emprunté aux Anciens les strophes saphique, alcaîque, etc. ; ils ont même créé une nouvelle forme, la strophe asclépiadique. L’école romantique de nos jours, pour se séparer des classiques, a transporté enfin dans la poésie allemande les strophes usitées chez les Italiens et les Espagnols : Rückert et Platen ont importé jusqu’à. la ghazèle persane. V. Freese, Prosodie allemande, en all., Stralsund, 1837 ; Dilschneider, Étude de la prosodie allemande, en all., Cologne, 1839 ; Minckwitz, Traité de la prosodíe et de la métrique allemandes, en all., Leipz., 1852 ; Hewig et Donatzi, Prosodie allemande, Paris, 1812 ; Adler-Mesnard, Traité de versi/îcation allemande, dans la Littérature allemande au xix’siècle, Paris, 1853, 2 vol. in-12, t. 2°, poésie. H. Atuzmiuue (Philosophie). Cette philosophie ne date que de la fin du dernier siècle : Kant en est le fondateur. On trouve sans doute auparavant, en Allemagne, des penseurs plus ou moins célèbres, à la tête desquels se place Leibniz ; mais ce sont des esprits formés sous l’influence de la philosophie française. Leibniz achève le mouvement philosophique commencé par Descartes ; il a écrit ses principaux ouvrages en français et en latin. L’école de Wolf développe et met en formules la philosophie de Leibniz. Celle de Berlin, fondée par Frédéric, est toute française. Pour trouver des esprits réellement originaux et allemands, il faudrait remonter plus haut, ou aller chercher, dans d’autres classes de la société, des intelligences peu cultivées, comme Jacob Bœhme, le cordonnier de Goerlitz, dont le mysticisme, né de la méditation de la Bible et de la réflexion solitaire, répond par- ’ faite ment aux tendances du génie allemand. On trouverait aussi au xv° et au xvie siècle, à. l’époque de la Renaissance, des traces de cet esprit parmi les admirateurs enthousiastes de l’antiquité, les faiseurs d*hypothèses et les illuminés, tels que Paracelse, Van Helmont, Beuchlin, Weigel, R. Flud, Angélus Silésius, et la société des Rose-Craiœ. Au moyen âge même, tout ce qui, en dehors de la scolastique, de ses disputes et de ses formules, tend au mysticisme ou à la spéculation indépendante, se rattache aux sociétés secrètes de l’Allemagne. Albert le Grand, avec son universalité de savoir indigeste, ses connaissances physiques et sa réputation de magicien, représente assez bien l’esprit allemand à cette époque de barbarie savante et pédantesque. Le mysticisme a des disciples qui inclinent au panthéisme dans les Eckart et les Tauler. Mais ce n’est pas dans ces origines obscures qu’il faut chercher la philosophie allemande ; elle n’apparaît que très-tard dans la civilisation moderne, à. la suite du mouvement philosophique imprimé par Descartes, et qui, parti de la France, se propagea dans toute l’Europe, mouvement continué par Locke et la philosophie anglaise et française du xvur* siècle. Elle répond a la révolution générale qui s’accomplit alors en Allemagne : Kant opéra en philosophie la même réforme que Klopstock, Lessing, Goethe et Schiller en littérature. 0 n peut marquer dans le développement de la philosophie allemande deux phases ou périodes. A la 1" appartiennent Kant, Fichte, Jacobi, Iiheinhold, et tous les esprits qui, comme sectateurs ou dissidents, se rattachent au point de vue kantîen, désigné sous le nom d’idéalisme subjectif. La 2* répond à un autre mouvement de la pensée en sens inverse, auquel on a donné le nom dhldéalisme objectif ou absolu ; deux noms illustres la représentent, Schellinget Hegel.

I. Première période : idéalisme subjectif. - Pour être nationale, la philosophie allemande n’est pas un fait isolé ; elle est liée au développement général de la philosophie moderne, qu’elle continue. Ses représentants sont les successeurs et les héritiers directs des penseurs éminents du xvn° et du xvm° siècle, des Descartes, des Leibniz, des Spinosa, comme ils succèdent à Locke, å Berkeley, à Hume. Kant part du scepticisme de Hume, qui lui-même est issu du sensualisme de Locke ; il part aussi du dogmatisme des systèmes précédents, et qu’avait engendrés Pidéalisme cartésien. Le but qu’il se propose est de remédier aux inconvénients du scepticisme et du dogmatisme en coupant court aux prétentions de l’un et de l’autre. Pour cela, il renouvelle l’œuvre de Descartes ; il refait l’analyse et la critique de l’intelligence humaine, dont il veut mesurer la portée et marquer les limites. Telle est l’origine du système de Kant, le but de son entreprise ; en cela il est comme un second Descartes ; tout son système est une critique, et sa philosophe s’appelle le criticisme. Quoique très-vaste et très-compliqué, ce système est facile à saisir et à embrasser dans ses traits généraux. Il renferme trois Critiques : 1° la Critique de la raison pure, c’est-à-dire la métaphysique ; 2° la Critique de la raison pratique, ou la morale ; ° la Critique du jugement, qui contient à la fois Pesthétique ou la théorie du beau et la philosophie naturelle. La Critique de la raison pure, base des deux autres Critiques et de toute la philosophie kantienne, à son origine, comme il a été dit, dans le besoin de répondre à la fois aux négations ou aux attaques du scepticisme et aux affirmations hasardées du dogmatisme. Kant veut tracer à la raison ses vraies limites. Il procède par l’analyse de cette faculté, décrit ses formes, ses conceptions fondamentales et ses opérations, d’abord la sensibilité, puis l’entendement, puis la raison elle-même comme faculté de l’idéal qui nous révèle l’infini. Il sépare avec une grande sévérité ce qui appartient à la raison de ce qui provient de facultés différentes, ses notions pures et d priori des perceptions de l’expérience. Il classe et range en ordre ses éléments et ses lois, il en forme des catégories. Cette œuvre d’analyse achevée, il en soumet les résultats à la critique, et voici le résultat où il arrive : il a distingué des notions de l’expérience ou des perceptions de nos sens les conceptions à priori, qui ne peuvent y rentrer et qui forment le domaine propre dela raison pure ; dans la sensibilité, les idées de l’espace et du temps ; dans l’entendement, certains principes régulateurs de nos jugements ; dans la raison elle-même, les idées de l’infini, du parfait, de l’absolu. Il se demande quelle est la valeur de ces conceptions, si elles ont un objet réel en dehors de l’esprit qui les possède, et dont elles sont comme l’essence. Sa réponse est négative. Au-