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LE SERVITEUR

Nous mangions la soupe entre cinq et six heures. Après quoi nous entamions la veillée.

Tantôt nous étions seuls, à nous trois. Tu en profitais pour mettre de l’ordre dans tes comptes, pour équilibrer le budget de tes recettes et de nos dépenses, pour constater exactement, à un sou près, combien il y avait d’argent dans le tiroir de l’armoire. Tu me dessinais, sur la marge d’un vieux journal, des oies que je trouvais très bien faites et mêmes jolies. Lorsque j’en avais à ma disposition tout un troupeau que je pouvais diriger au gré de ma fantaisie, tu te mettais à lire des vies de saints. Ou bien, te rapprochant du poêle, tu écossais des haricots, puis cassais du fagot pour allumer le feu du lendemain. C’étaient des heures où avec force, je le jure, je nous sentais comme retranchés hors de la petite ville, de la France et du monde. Je prenais plaisir — je gardais pour moi mes sensations, — à nous imaginer vivant au milieu des bois dans une hutte de charbonniers bien chauffée : j’aurais voulu entendre des loups aiguiser leurs griffes sur le granit inusable de notre seuil. Notre maison